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des ruines du palais des Césars et des terrains adjacens, Arese suppliait l’Empereur de mettre un terme à la noble passion de bienfaisance qui était une seconde nature chez lui. Il lui faisait entendre que 40 000 francs de rentes pouvaient encore être une ressource pour les mauvais jours, mais qu’il ne fallait pas les gaspiller. Arese fut chargé de la gestion des propriétés impériales dans les Romagnes et les Marches et s’acquitta de cette fonction avec la délicatesse et le tact qui lui étaient naturels. C’est à Arese que Napoléon écrivait dès son arrivée à Wilhelmshöhe : « Je ne vous parlerai pas de mes malheurs. Ce sont ceux de la France qui m’accablent le plus ! » Puis, peu de jours après : « Me revoilà, comme il y a vingt-deux ans, prisonnier et en butte à toutes les calomnies ! » puis, le 2 décembre : « Vous savez tout l’intérêt que je porte à l’Italie et au Roi. Je voudrais qu’il n’allât à Rome qu’a la mort du Pape, ce qui ne peut être long, vu son âge. Avant cette époque, sa position à Rome sera remplie de difficultés. C’est là un avis bien désintéressé que je vous donne. » L’Empereur se repentait de ses tergiversations et de sa conduite oblique envers le Saint-Siège comme envers l’Italie, et lui, qui pronostiquait la mort prochaine de Pie IX, il allait succomber plusieurs années avant le Saint-Père. Les entretiens sur les événemens politiques qui avaient amené et suivi la chute de l’Empire étaient fréquens à Wilhelmshöhe, et Napoléon confiait à cet égard ses impressions au général de Monts dont il avait apprécié la droiture et la discrétion.

Il lui racontait, entre autres choses, ce qu’il avait appris au sujet de la Révolution du 4 septembre ; comment son portrait avait servi de cible aux coups de fusil des émeu tiers jusqu’à ce qu’il fût devenu troué et méconnaissable ; comment le buste de l’Impératrice par Carpeaux avait été mis en poudre par la populace furieuse ; comment une porte ornée de son écusson avait été brisée et jetée au feu. Qu’on me permette ici un souvenir personnel : j’ai vu de mes yeux, le 3 septembre, casser le bras de la statue de la Loi sur la place du Palais-Bourbon par une foule exaspérée et rompre en mille morceaux la main de Justice où figurait l’aigle impérial. C’était là le signal du renversement de l’Empire. Quand le drapeau fut amené sur les Tuileries, le peuple cria : « L’Impératrice est partie ! » et se rua sur le palais abandonné par la troupe de service, un bataillon de voltigeurs de la Garde. Voici comment l’Empereur racontait