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mais il n’admettait pas qu’on donnât au devoir une face morose. Il était de ces joyeux chrétiens qui font leur salut en chantant. Quand la petite Elsa demeurait pensive et muette : « Tu n’es donc pas de moi ? disait-il. Il faut être toujours gai. » Et l’on était gai toujours, aux champs où les filles de la maison besognaient avec les domestiques, dans la grande cuisine où leurs rouets bourdonnaient sous la lampe à pétrole suspendue au plafond, en hiver où l’on se préparait une merveilleuse atmosphère de Noël, en été où l’on recevait des hôtes. Il n’y avait point de misère dans le pays. Pourtant, Mlle Elsa discerna de très bonne heure sa vocation de garde-malade. Elle voulait être diaconesse. « Non, pas diaconesse ! lui disait son père. Les diaconesses sont des piétistes. Elles ne savent pas rire. »

— Ah ! continuait-elle, je n’ai jamais tant ri que dans mon Helsingland ! Le peuple y est si gai, mais avec une petite pointe de tristesse douce au cœur... Et, voyez-vous, s’il m’était défendu ici de chanter et de rire, je partirais !

Le plus souvent, ses souvenirs s’évadaient vers la forêt qui avait été pour elle, à deux pas du presbytère, un monde de poésie et une école de responsabilité. Son père l’y envoya dès ses premières années, toute petite, accrochée, pour ne pas tomber, à la jupe des vachères. Quand elle fut plus grande, il lui confia le troupeau des vaches. On les menait paître la nuit. De dix à seize ans, elle s’en allait seule, à la tombée du soir, derrière ses bêtes, et marchait pendant une heure.

— Le soleil se couchait, mais la bordure de l’horizon était longtemps rouge. Les fleurs embaumaient. Connaissez-vous les pyrola, ces fleurs blanches qui ont la forme d’une clochette ou d’une étoile ? Leur parfum est aussi fort que celui des roses blanches. Mais l’odeur des Linnæa est plus forte encore : c’est l’odeur de l’amande. Vers onze heures et demie, le ciel s’éteignait. Les vaches, qui n’y voyaient plus assez clair pour trouver leur pâture, se couchaient dans ce crépuscule d’une heure et sommeillaient. Alors, de tous côtés étincelaient les vers luisans : c’était beau comme une saga ! Je m’endormais quelquefois la tète appuyée sur le cou d’une vache. Dès que le premier rayon du soleil frappait la cime des bois, les oiseaux s’égosillaient, les vaches se réveillaient ; et moi, j’étais si lasse, avec une si grande envie de dormir, que je cherchais partout un petit coin solitaire et silencieux. Mais, quand les vaches aiment leur gardeuse, elles