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étaient rangés les artisans et journaliers, dont la cote était fixée uniformément à 20 sous.

Cette taxation des personnes d’après leur situation sociale ou leur profession avait le mérite d’être simple et d’une application facile ; mais point n’est besoin d’insister pour montrer les objections qu’elle soulevait au point de vue de la stricte équité. Pourquoi les médecins étaient-ils taxés à 10 livres ? quand les avocats en payaient 20 et les traiteurs 30 ? Et dans l’intérieur d’une même classe, était-il juste d’imposer sur le même pied : tous les bourgeois vivant de leurs rentes, alors que certains étaient riches à millions et que tant d’autres avaient peine à conserver leur rang et à vivre bourgeoisement ? Comme l’écrivait spirituellement Boisguilbert : « Il est de même ridicule d’avoir établi qu’un avocat, un marchand ou seigneur de paroisse et un officier paieront la même somme, qu’il le serait de régler que tous les boiteux contribueraient pour la même part et que ceux qui marcheraient droit en fourniraient une autre ! »

Et pourtant, malgré ses imperfections, la capitation renfermait un principe nouveau, qui parut en son temps une innovation quasi révolutionnaire, mais dont, un siècle plus tard, la justesse devait être admise sans conteste : nous voulons dire l’égalité de tous les citoyens devant l’impôt. Aux termes de la déclaration du 16 janvier 1695, les tarifs devaient être appliqués à tous les sujets du Roi sans autre exception que « les pauvres réduits à la mendicité et les enfans à la mamelle. » Les ordres privilégiés, astreints pour la première fois à l’obligation de contribuer aux charges publiques, s’indignèrent contre la méconnaissance des lois fondamentales du Royaume. Le gouvernement s’effraya : il n’osa poursuivre l’application complète de la loi et entra en composition avec les réclamans. Au clergé, il accorda remise totale de l’impôt moyennant un don gratuit de 4 millions par an ; à des corporations, à des villes, voire à des provinces entières, il consentit des abonnemens, qui, moyennant un subside généralement peu élevé, dispensaient les intéressés du paiement de la taxe. Avec la noblesse seule, Pontchartrain se montra implacable et se refusa à tout compromis.

Suivant les promesses de Louis XIV qui s’y était engagé « en foi et parole de Roi, » la capitation fut supprimée aussitôt après le traité de Ryswick en 1687 ; mais, par suite des exigences de