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d’exigences hors de proportion avec ses ressources. Dans la période qui s’achève, la Reine a pu terminer plusieurs affaires ; elle a réussi à obtenir l’élargissement d’Aymé que l’on renvoie vivre en sa terre de Melle, dans les Deux-Sèvres, « au milieu de ses chèvres et de ses moutons ; » elle a négocié avec le ministre du Trésor public un arrangement qui allège les charges financières du royaume : « Tu vois, mon cher ami, — écrit-elle à Murat, — que j’ai assez bien arrangé cela et que je ne suis pas une ambassadrice inutile. »

Murat reconnaîtrait-il ces services très réels ? Ce qui par momens dépite et exaspère la Reine, c’est qu’elle sent toujours se croiser des intrigues entre Naples et Paris, s’interposer entre elle et son mari, entre le pouvoir impérial et le Roi, des correspondans malintentionnés, des propagateurs de bruits fallacieux, des fauteurs de mésintelligence. Ces gens-là usent de tous moyens pour raviver la brouille. Par exemple, est-ce qu’ils ne vont pas dire à Murat, à l’encontre de toute vérité, que sa femme ne jouit pas à Paris des égards et des honneurs dus à la reine de Naples. Murat se pique parce qu’aux réceptions de cour on n’aurait accordé à la Reine que le tabouret. Cette fois, l’invraisemblance est trop forte, et Caroline la relève vivement, sur un ton aigre-doux :

« Je ne sais qui a pu te dire que j’éprouvais des humiliations et des désagrémens. C’est un conte ridicule qui n’a aucune espèce de fondement. Il est impossible de recevoir plus de témoignages de bonté de la part de l’Empereur. Il a des attentions infinies pour moi, me témoigne une amitié tendre et me traite en tout comme sa fille. Je suis vraiment comblée de tout ce qu’il fait pour moi. Il m’a donné deux chambellans, un écuyer et des pages. Je dînais seule les premiers jours ; il a voulu que j’eusse toujours du monde à dîner pour me distraire. J’ai tous les jours une table de dix ou douze couverts où j’invite tes amis, des ministres, des généraux. Après mon dîner, depuis sept heures jusqu’à huit heures, toute la cour vient me voir. Ensuite je descends chez l’Empereur où je reste jusqu’à minuit. Les jours de chasse, j’accompagne l’Empereur et l’Impératrice lorsqu’il fait beau et que je me porte bien, et l’Empereur a toujours la bonté de m’attendre pour partir ensemble. C’est lui-même qui m’a engagée à composer et à préparer un quadrille en disant que cela m’occuperait et me ferait du bien. Il ne me voit jamais