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Ainsi commençaient les graves discordes, et le jour même où Krementz expédiait ces lignes alarmées, on apprenait que, d’un trait déplume, Bismarck venait de supprimer, au ministère des Cultes, une section qui, depuis trente ans, ménageait et garantissait, entre l’Église et l’État, la plus précieuse des concordes. Cette institution s’appelait la « division catholique. » De fort bons catholiques, comme Kraetzig, comme Linhoff, la dirigeaient : fonctionnaires de l’État, il suffisait de leur présence en si haut poste, pour rassurer les évêques sur les visées du pouvoir civil ; fidèles de l’Eglise, ils familiarisaient les ministres successifs avec les susceptibilités, les intransigeances, le langage même de l’Eglise romaine. Leur patriotisme et leur foi leur faisaient aimer, quelle qu’en fût parfois l’ingratitude, ce rôle de tampons qu’ils avaient à jouer entre leur pays et l’Eglise. Ils étaient gênans pour la fraction nationale-libérale : Linhoff, en 1869, avait vigoureusement combattu les motions présentées contre les moines. Gênans aussi, pour la fronde vieille-catholique : Kraetzig s’était permis de la pousser à l’obéissance. Le vent de guerre qui commençait de se déchaîner en Prusse risquait d’être apaisé par leur pacifisme tenace.

Bismarck prétendit plus tard que, dès 1868 ou 1869, cet organisme bureaucratique, s’inspirant du même esprit sous les ministres les plus variés, lui avait paru incompatible avec la responsabilité constitutionnelle des ministres. C’est fort possible ; mais sa colère contre « la clique Kraetzig » ne fit explosion que le 19 juin 1871, dans un entretien avec Hohenlohe, au cours de ces heures dramatiques, où les décisions religieuses du chancelier vainqueur semblaient suspendues aux lèvres d’un pape vaincu. Le 3 juillet, lorsqu’il réputa Pie IX solidaire du Centre, Bismarck, qui venait d’installer Aegidi aux Affaires étrangères, disait à cet homme de confiance : « La division catholique ne représente pas les droits de l’État, mais bien plutôt, vis-à-vis de l’État, les droits de l’Église catholique, avec une conception partiale. J’aimerais mieux un nonce ; au moins, il ne pourrait pas exploiter les documens du gouvernement. » Les fonctionnaires de cette division, accusés ainsi de s’être transformés de sujets catholiques du Roi en légats du Pape, étaient dès lors condamnés ; Kraetzig, le 8 juillet, dans la station thermale où il prenait ses vacances, reçut avis que la division catholique était supprimée.