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Ce sera toujours la tactique de Bismarck, chaque fois qu’il troublera la paix religieuse, d’alléguer un prétexte patriotique imprévu, un intérêt national insoupçonné. Frappant l’Église, il affectera de viser, derrière elle et même plus qu’elle, un des nombreux périls qu’il aime signaler aux haines de l’Allemagne. Ce sera tantôt le polonisme, tantôt le socialisme, tantôt la France. Il aspirera toujours à englober l’Eglise comme complice plutôt qu’à la dénoncer comme principale coupable. Est-ce là scrupule d’adversaire, épris des nuances équitables ? Nullement, c’est tout au contraire une audacieuse habileté de joueur. Au moment même où les catholiques épanouiront leur foi dans la défense de leurs libertés, il ternira la pureté de leur dévouement, en les représentant comme l’arrière-garde insidieuse d’une certaine conspiration politique. De ce fait, il s’entourera lui-même d’excuses atténuantes et tissera tout autour d’eux je ne sais quel réseau de solidarités aggravantes, qu’il exploitera pour les rendre odieux. Il ne prendra pas l’Eglise corps à corps ; il ne l’attaquera pas de front, comme messagère d’une métaphysique qui ne serait pas la sienne : sa façon personnelle de croire au Christ est, en définitive, beaucoup plus conforme aux affirmations d’un curé qu’aux négations d’un national-libéral. Il laissera ceux-ci proclamer dans leurs discours l’antagonisme entre l’Eglise et le progrès humain : question de doctrine, sur laquelle des Allemands peuvent penser différemment. Mais toutes les ruses lui seront bonnes pour acoquiner les catholiques avec les Polonais, les rouges ou les Welches, que répudie la conscience nationale allemande.

En juillet 1871, Bismarck estima que la personnalité du catholique Kraetzig incarnait le péril polonais. Sa formule, telle que bientôt il la développait devant Auguste Reichensperger » était la suivante : « Kraetzig et les Polonais, c’étaient des têtes sous le même bonnet ; ce Kraetzig, on devrait le pendre par les jambes. » Quinze ans plus tard, pour expliquer le Culturkampf dont alors il fera résipiscence, il dira : « Celui qui m’a engagé dans cette lutte, c’est Kraetzig, » insinuant par là que s’il avait persécuté les catholiques, les Polonais en étaient cause. Bismarck et la presse bismarckienne, passant au détail des faits, reprochaient à Kraetzig d’être l’ami des Radziwill. Ils dénonçaient sa liaison avec le publiciste guelfe Hermann Kuhn : un jour, en 1867, Kraetzig, chargé d’un travail par une haute personnalité,