Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/855

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’était fait aider par Kuhn et lui avait mis entre les mains certains documens, officiels à vrai dire, mais nullement secrets, sur l’activité des congrégations hospitalières durant la guerre de 1866 : c’en était assez pour qu’on faillit l’accuser de trahison. Mais surtout, on lui faisait un crime d’avoir facilité le développement de la langue polonaise dans les écoles de la Prusse orientale sur lesquelles la « division catholique » exerçait un contrôle, et d’avoir, ainsi, fait œuvre antigermanique. La « division catholique, « non contente de désarmer l’Etat devant l’Eglise, désarmait la nationalité germanique devant les aspirations slaves. Halte dès lors aux avocats de Kraetzig : ils feraient œuvre anti-allemande !

Mais si Bismarck disait vrai, si ce Polonais et ses acolytes avaient effectivement commis de pareils péchés, il y avait au-dessus d’eux un responsable : c’était le ministre Mühler. Bonne aubaine pour les nationaux-libéraux, qui détestaient ce piétiste et sans cesse demandaient sa tête. Le coup qui frappait Kraetzig commençait à la faire elle-même chanceler. On oubliait volontairement qu’en fait l’influence de Kraetzig se heurtait à celle de la direction de l’instruction et du sous-secrétaire Lehnert ; que le ministre, en 18G4, avait enlevé la surveillance d’une école polonaise à un ecclésiastique trop zélé pour la langue indigène ; que des canonistes comme le protestant Richter, auprès de qui souvent Mühler prenait conseil, contre-balançaient le crédit du catholique Kraetzig. Les nationaux-libéraux se disposaient à envelopper Mühler dans la disgrâce que subissait Kraetzig, et à évincer bientôt du ministère des Cultes la nuance d’orthodoxie dont ce ministre était le serviteur.

Victime désignée pour demain, l’infortuné Mühler devait, tout de suite, de par sa fonction même, rédiger l’arrêt de mort de Kraetzig. Emprunter les argumens bismarckiens, c’eût été contresigner son propre procès : il ne le pouvait, et vantait au contraire le zèle et le dévouement de son agent. Alors il se rabattit sur une théorie ; il professa que le Concile avait modifié la situation de l’Église et que le gouvernement, dans sa politique ecclésiastique, devait désormais s’inspirer de considérations tirées du droit de l’Etat. C’étaient là des argumens qui ravissaient les vieux-catholiques : Mühler, en somme, s’appropriait leur thèse. Tandis que les raisons de fait par lesquelles Bismarck motivait le renvoi de Kraetzig devaient être exploitées par les