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Voyez à Florence l’Antologia que fonde G. P. Vieusseux et dont Gino Capponi avait avant lui conçu l’idée[1]. Il s’agit de donner à l’Italie une revue analogue à celles que possèdent déjà l’Angleterre, l’Allemagne, la France, dans le dessein très précis de constituer par elle un centre d’union intellectuelle, et d’action nationale. La prudence sera d’abord nécessaire ; on commencera timidement ; et pour qu’on tolère la revue, on la présentera comme exclusivement consacrée aux articles traduits de l’étranger. Peu à peu, quand elle sera plus sûre de ses forces, quand on aura pris pour ainsi dire l’habitude de la voir, elle donnera place aux productions italiennes. C’est au bout d’un an, le 1er janvier 1822, que l’évolution est accomplie : « Il n’est pas de mois, écrit Vieusseux, où je n’aie le bonheur d’acquérir quelque collaborateur nouveau, si bien que j’ai l’espoir que sous peu l’Anthologie deviendra toute nationale. Je renouvelle à tous les écrivains italiens ma prière de considérer l’Anthologie comme un recueil national, toujours prêt à publier les produits de leur intelligence ; il doit être comme un trait d’union entre eux tous, jusqu’à présent si isolés... » Il groupe autour d’elle, en effet, tout ce que l’Italie compte de talens ; les appelant de toutes les provinces ; accueillant les jeunes surtout, puisque c’est l’avenir qu’il veut fonder. Rien que d’utile n’entre dans l’Anthologie ; on bannit ce qui n’est qu’agréable : les vers, par exemple, — dur sacrifice ! On veut de la bonne prose, de la bonne prose solide, pleine de faits et d’idées, qui fortifie l’âme des lecteurs. Contrairement à toutes les habitudes antérieures, on laisse peu de place à la grammaire, à la rhétorique, à l’érudition pure : mais on ouvre la revue toute grande à l’histoire, à la philosophie, à la politique, à l’économie rurale même, — à tout ce dont on avait manqué jusque-là. Patiemment, on forme ainsi l’âme du grand enfant qui commence à vouloir, mais qui ne sait pas suffisamment ce qu’il veut ; qui désire savoir, mais qui ne connaît pas ce qu’il faut apprendre : on fait de lui un homme.

C’est ainsi qu’on finit par créer cet « esprit public » dont les gouvernemens redoutent l’existence. Peu nombreux sont les milieux favorables, au début ; la pauvre plante frêle ne trouve que des terrains rares et maigres pour pousser et fleurir. C’est

  1. Voyez Paolo Prunas, l’Antologia di Gian Pietro Vieusseux. Roma-Milano, 1906.