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autre, et les soumet toutes également au joug de la raison, échappant ainsi aux excès de l’imagination et de la sensibilité, où il lui arrive de tomber dans les autres pays. Ce catholicisme italien ne perd de vue ni l’idéal, puisque c’est toujours le besoin d’une vie supraterrestre qui l’inspire ; ni le réel, puisque l’Eglise romaine, par le fait même qu’elle est chargée du gouvernement de la chrétienté, ne peut jamais renoncer à la pratique des choses et des hommes. Il n’est ni mystique, ni païen ; il oscille entre ces deux extrémités, plus près de la première au moment de l’ascétisme franciscain, plus près de la seconde aux temps de la Renaissance, mais se gardant toujours d’arriver jusqu’à l’une ou jusqu’à l’autre. La foi de Manzoni serait juste au milieu. Elle n’a rien de révolutionnaire, bien que l’époque prête à ce danger : prêcher la guerre au nom du Dieu de paix serait contraire à l’esprit de la doctrine. Mais elle n’est pas non plus mystique, ce qui ne répondrait pas aux nécessités de l’époque, à laquelle elle se présente comme un remède ; et son but est l’action. De même, ce n’est point un de ces catholicismes élargis, qui, pour être d’accord avec la pensée moderne, font volontiers bon marché des dogmes ; il accepte, au contraire, la tradition tout entière. Mais ce n’est pas non plus un catholicisme étroit ; il n’oubliera jamais qu’il a été précédé d’une préparation philosophique ; il se placera sur le terrain le plus pratique pour la conciliation et l’harmonie, celui de la moralité. Ce n’est pas un catholicisme belliqueux, qui ne rêve que conflits el guerres : on en a vu de tels. Mais ce n’est point un catholicisme lâche ; il agit au grand jour, aux yeux de tous, avec tranquillité et ténacité. Par ces caractères, manifestations diverses de la raison qui transparaît en lui, il est, — c’est M. Luchaire qui parle, — « la formule la plus large à la fois et la plus pratique qui fut offerte aux temps nouveaux. »

On voit facilement la différence profonde qui le sépare de Chateaubriand, — on pourrait presque dire la contradiction qui l’oppose à lui, s’il était permis d’employer ce mot à propos d’écrivains qui servent la même cause, presque au même moment. Manzoni n’a pas été sans assister, pendant son séjour à Paris, aux manifestations du grand mouvement de restauration religieuse qui inspirait aux foules les Te Deum glorieux dans les églises qu’on rouvrait au culte. Mais sa mentalité est restée inaccessible à ces formes de la mentalité française. Le Génie du