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de l’Allemagne. La candidature Hohenzollern fit l’effet d’une étincelle qui tombe sur des matières inflammables. Toutes les haines, toutes les jalousies, toutes les convoitises se réveillèrent tout à coup et cet incident qui, dans d’autres temps, n’eût provoqué que des notes diplomatiques, souleva le pays tout entier. Néanmoins, ajoute l’Empereur, lorsqu’on apprit que le prince de Hohenzollern venait de se désister pour son fils de la candidature au trône d’Espagne, on put espérer que la paix serait maintenue. Mais l’opinion publique était tellement excitée qu’elle repoussa toute mesure de conciliation. Les journaux de presque toutes nuances poussaient à la guerre. La province partageait l’exaltation de la capitale. » Cette dernière assertion était inexacte. Si Paris était ému, les départemens avaient gardé tout leur calme.

Cependant, Napoléon avoue qu’il pouvait empêcher la guerre, mais en perdant sa popularité et en laissant dénoncer sa conduite comme une condescendance coupable avec l’étranger. Il ajoute, dans sa brochure, et ceci est à remarquer : « Toutefois, le devoir de l’Empereur était d’être plus sage que la nation et d’empêcher la guerre, même au prix de sa couronne. » Alors, pourquoi ne le fit-il pas ? « Sa réponse, dit-il, est qu’il accepta la lutte sans ardeur, comme un homme qui va se battre en duel, parce que l’honneur l’exige, et ne considérant pas si son adversaire est plus fort que lui. Sans doute aussi qu’il se laissa emporter par l’élan national, par sa confiance illimitée dans la puissance de l’armée et que les rêves de gloire militaire, peut-être même d’agrandissement territorial, étouffèrent dans son âme la faible raison de l’homme d’Etat. » Après ces aveux clairs et significatifs, Napoléon se défend encore d’avoir voulu la guerre de son plein gré et pour un intérêt dynastique. Il savait bien qu’une guerre malheureuse ne pouvait que tout ébranler et tout compromettre. Qui donc alors l’a déterminé à risquer un si terrible enjeu ? « La vérité, répond-il, est que le pays a voulu la lutte, et que l’Empereur n’a pas résisté à l’entraînement général. »

Voilà ce qu’écrivait Napoléon au lendemain de Sedan, dans le calme de la captivité, afin d’essayer de s’excuser d’avoir lancé le pays dans une périlleuse entreprise « pour des motifs mesquins ou d’intérêt dynastique. » Ce qu’on retiendra surtout de ses propres aveux, c’est qu’il aurait dû « empêcher la guerre, même au prix de sa couronne. »