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dans le plaisir littéraire et comme le goût a besoin d’une longue éducation. Ne doutons pas qu’il n’y ait encore de beaux soirs et tout un avenir pour la poésie au théâtre.

Entre tant de productions poétiques, et puisque nous n’avons que le choix, nous choisirons le drame italien de M. Sem Benelli que M. Richepin a adapté à notre scène, parce que la pièce est des plus curieuses, et parce que le somptueux vêtement, dont M. Richepin l’a habillé, suffirait à nous la recommander. Le succès même que La Beffa a obtenu en Italie contribue à en rendre l’étude intéressante. Non certes que le succès soit toujours signe de valeur littéraire ; il est même quelquefois signe du contraire. Mais il paraît que M. Sem Benelli est vraiment un poète, et que La Beffa est écrite dans une très belle langue. Or la pièce a eu quatre cents représentations consécutives ; on la joue dans toutes les villes ; le public italien ne s’en lasse pas. Il faut, pour cela, qu’elle réponde à quelque chose de profond, à un caractère de la race, à un instinct national. Et il pourra donc être instructif d’en marquer l’opposition avec le sentiment français, puisque l’accueil chez nous a été moins frénétique.

La Beffa est un drame historique, ou plutôt placé dans un décor d’histoire, ou mieux encore dans un cadre ancien, un précieux cadre florentin du temps de Laurent le Magnifique. Le héros en est le jeune seigneur Giannetto Malespini. Il est en lutte avec deux frères : Neri et Gabriel Chiaramantesi. La lutte dure depuis toujours. C’est une de ces hostilités spontanées et irréductibles qui résultent du contraste entre les natures et traduisent l’antagonisme des tempéramens. Giannetto est de complexion débile, remarquablement doué des dons de l’esprit qu’il a subtil, inventif et orné, mais rachetant cette supériorité intellectuelle par une déplorable faiblesse physique. Au contraire, ses ennemis sont, dans toute la force du terme, de belles bêtes. Superbes et brutaux, ils ont pris l’habitude de faire de Giannetto leur souffre-douleur.

Ce qui les encourage, et les excite, et en partie les justifie, c’est que Giannetto n’est pas seulement faible, il est lâche. C’est cela même qui est chez lui le trait caractéristique. Il est essentiellement lâche. C’est un lâche ; c’est le lâche. Aussi, pas de mauvaise farce qui ne soit contre lui de bonne guerre. Cela a commencé à l’école, cela a continué depuis. On martyrisait l’enfant, on persécute l’homme. Lui, il subit, faute d’avoir le courage de résister et de se défendre. Mais en subissant, il ne se résigne pas. Au contraire ; l’humiliation, chaque fois, ajoute à la colère, à la rage, à la rancune qui s’accumulent en lui. Une méchante