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beffa, la combiner, lui faire prendre forme. Il persuade à Neri de s’en aller par les rues dans cet attirail et de s’introduire chez les bourgeois paisibles. Ce qui suivra, nous le devinons, et c’est la farce dont Giannetto va se régaler et distraire aussi Laurent de Médicis qui, paraît-il, dans la lutte entre l’artiste rusé et les deux hercules idiots, est pour le premier.

Le second acte se passe chez Ginevra. Ayant endossé les habits de Neri, Giannetto s’est introduit chez la courtisane, qui l’a pris pour Neri. Il a passé la nuit auprès d’elle. Ç’a été du reste en tout bien tout honneur. Giannetto n’a pas profité de l’erreur : c’est un homme tout esprit. Les plaisirs de la vengeance sont les seuls auxquels il aspire. Il est venu tout uniment pour raconter le scandale de l’équipée à laquelle Neri s’est livré. On l’a arrêté, comme frappé subitement d’aliénation mentale ; on l’a conduit au poste... Mais quoi ! Du bruit ! Neri s’est échappé. Décidément, ce fou est dangereux. A l’acte suivant, nous le verrons enfermé dans les souterrains d’un palais, où on le lie à une chaise scellée au mur. Giannetto nargue sa rage impuissante. Et il imagine de le faire narguer par des femmes, Laldomine, Fiammette, Lisabetta, introduites à cet effet auprès de lui. Les deux premières sont des femmes qu’il a trahies ; elles l’injurient abondamment. La troisième l’a aimé en secret, et n’éprouve pour lui que de la pitié.


Cher grand vaincu ! Que n’est-ce, hélas ! l’ardente fête
De notre amour joyeux en folle floraison
Qui t’a sous mes baisers fait perdre la raison ?
Nous serions fous tous deux de la même folie,
Car c’en est une, va, dont mon âme est remplie,
Oh ! quel amour profond autant qu’il fut secret !
Tout le monde, excepté grand’mère, l’ignorait.
Et tu ne pouvais pas le soupçonner toi-même.
Le torrent ne sait pas combien la rive l’aime,
Tout le long d’elle il passe en flots indifférens
Aux violettes dont ses bords sont odorans.
Il passe avec un bruit de fuite au joyeux rire,
Et l’eau ne connaît point la rive qui s’y mire...


Ce langage nous surprend un peu. Nous ne nous attendions pas à cette expansion d’un sentiment si délicat et qui semble ici un peu dépaysé. Mais cette note idyllique est quand même la bienvenue. C’est une détente au milieu de toutes ces horreurs. Lisabetta conseille à Neri, au lieu de se débattre comme il l’a fait jusqu’ici, de feindre la folie, mais