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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/523

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ordinaires de la raison, capable de brusquer la marche trop lente des choses favorables à l’humanité. Le génie est, pour nous, à l’opposé du talent et de la technique, quelque chose de mystérieux et de divin, un don.

La « vision » m’apparaît comme un procédé intellectuel plus rare encore, un don d’essence supérieure qui n’est fait qu’à ceux qui le réclament avec une infinie confiance. Le Bien, qui veut naître, avertit une âme choisie et la suscite. La « vision » rompt avec les servitudes, les pédantismes, les raisonnemens, les doctrines. La « vision » est un essor, une délivrance. Elle est le coup d’aile qui gagne le ciel, avec l’inéblouissable regard qui soutient l’éclat du soleil.

Le propre de Jeanne d’Arc fut d’appliquer l’autorité de la « vision » et de l’inspiration célestes aux actes de la vie civile et laïque. Sur ce champ, qui échappe en partie à la religion, elle se fait une loi d’agir conformément à la volonté divine, ayant le sentiment, réaliste et nouveau, que les « choses du siècle » sont, non moins que celles de la religion, sous le regard de Dieu.

Son obéissance, d’ailleurs, reste consciente et libre. Elle écoute la voix, mais elle débat, elle choisit. Parfois, elle fait ce que la voix lui a interdit de faire, par exemple au saut de Beaurevoir. Sa résolution joint le divin à l’humain dans un très remarquable équilibre. Ceux qui ne voudraient voir en elle que la servante passive de l’autorité suprême sont comme ces hérétiques qui nient l’humanité de Jésus-Christ. Quand on objecte à Jeanne d’Arc que le Tout-Puissant peut agir sur les choses humaines sans avoir besoin des hommes, elle dit : « En nom Dieu, les gens d’armes batailleront et Dieu leur donnera victoire. » (III, 204.)


L’homme n’est digne de réaliser la volonté divine que s’il a sa volonté à lui. Or, voilà ce qu’elle a, au suprême degré, une volonté confiante qui la jette dans l’action, le courage !

Le courage, c’est-à-dire le cœur : voilà la vertu de Jeanne, et c’est parce qu’il fallait agir par le cœur qu’une femme fut désignée : son cœur gonflé et gros d’une immense pitié, au lieu de se résoudre en larmes et en plaintes, explose en courage.

Le courage c’est la capacité du sacrifice. Mais le courage n’est pas aveugle ; il est, au contraire, clarté et lumière. Un cœur sain ne se trompe pas. Jeanne voyait juste, parce qu’elle