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l’abbaye de Westminster, si je ne me trompe, que la Reine rencontra Thomas Carlyle et crut avoir apprivoisé le rustre philosophe. Stanley, homme de science et homme de goût, homme d’église et homme du monde, était très propre à introduire le royal pèlerin au milieu de toutes les émotions qu’évêque le berceau de la pensée judéo-chrétienne. Je ne me figure pas très bien le prince de Galles, tel que je l’ai connu, méditant sur les ruines du Temple, rêvant au jardin des Olives ou à Gethsemani. Jusqu’à présent, nous ne possédons aucun témoignage écrit de ses impressions, car s’il parlait volontiers et facilement, il se répandait plus rarement sur le papier, n’étant pas de complexion écrivassière comme quelques-uns des membres de sa famille. Pourtant, il eut des impressions, et qui persistèrent, car il tint à recommencer ce pèlerinage en compagnie de sa jeune femme et en jouit une seconde fois avec elle.

Six enfans, dont quatre survivent, ont été les fruits de son union avec la fille de Christian VII. On le vit souvent à Paris pendant les dernières années de l’Empire, non pas en voyageur et en passant, mais — pourquoi ne pas le dire, ainsi qu’il l’a dit lui-même et dans les termes qui ont si vivement touché la France en 1903 ? — comme s’il avait été « chez lui. » Le Paris d’alors était une table, toujours mise, qui offrait à tous les appétits mille sensualités exquises. Est-ce là ce qui attirait exclusivement le prince ? Je ne le crois pas. Il aimait notre littérature, notre art, le ton et l’allure de notre haute société, si différente de celle qui entourait le trône de Victoria, la causerie libre, brillante et familière de nos fumoirs. Dans cette conversation, il jetait sa note, caustique et gaie, et quand viendra le moment où l’on pourra être indiscret sans indiscrétion et tempérer le deuil d’aujourd’hui par des réminiscences plaisantes, on nous redira quelques-uns de ces mots par lesquels le prince achetait sa grande naturalisation, payait son droit de cité.

S’il faisait des mots, il ne faisait pas de phrases et n’était jamais dupe de celles qu’on lui adressait. Sa charmante bonhomie cachait un pénétrant ironiste. Il était prompt à rassurer un timide qui perdait contenance en l’approchant, mais celui qui avait « posé » devant lui était jugé. En revanche, sa présence, il le savait, il le sentait, était une inspiration. Les artistes aimaient à jouer pour lui, et Coquelin, un jour, me l’expliqua : « Quand