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le prince de Galles est là, tout le monde a du talent ! » Je répète ce mot, parce que je crois que le grand artiste eût été heureux d’avoir fourni un trait à cet hommage funèbre.

La mort du prince Albert avait apporté au prince une foule de devoirs nouveaux, et ces devoirs n’étaient pas toujours faciles ni agréables à remplir. La Reine s’enfermait dans son deuil et le bonnet de crêpe des veuves semblait avoir, pour jamais, remplacé sur sa tête la couronne d’Angleterre. Cependant la vie nationale ne pouvait s’arrêter parce qu’un noble et généreux prince avait cessé d’y jouer son rôle actif et bienfaisant. La Reine fit deux parts des attributions de la souveraineté. Elle se réserva l’action politique, les relations avec les ministres, toute cette partie du pouvoir royal qu’elle prisait au-dessus de tout ; les fonctions sociales de la royauté, elle les délégua à son fils et à sa bru. A eux de tenir les levers, de présider aux bals, aux galas, aux réceptions officielles ; à eux de se transporter d’un bout à l’autre du Royaume-Uni, toutes les fois qu’il y avait un cuirassé à lancer, un pont à ouvrir, un monument à inaugurer, une première pierre à poser, un geste à faire ou une parole à prononcer au nom de la royauté.

J’ai vu des natures délicates lasses jusqu’à la mort de ce dur métier si ingrat, mais si nécessaire, qui comporte, à certains momens, un oubli de soi-même, une abdication de la personnalité à laquelle on ne trouverait d’analogue que le dévouement sans réserve du Jésuite à son ordre et son effrayante formule : Perinde ac cadaver. L’esprit anglais présente, pour l’accomplissement d’un tel rôle, des ressources que les autres races ne possèdent pas au même degré : son optimisme invincible, son goût de la vie et cette étonnante élasticité qu’ils nomment buoyancy et dont nos langues continentales ignorent, et pour cause, l’équivalent. Le prince en était richement pourvu et c’est ce fond qui lui permit de rester, pendant quarante ans, à la hauteur de ses fonctions d’héritier présomptif, de soutenir, sans défaillance, la fatigue, l’ennui, l’écœurement de cette figuration royale. Sans rappeler ici cette universelle sympathie qui était, chez lui, un don de nature et qu’avait développée une éducation heureusement dirigée, il trouvait une compensation dans son goût pour tous les sports où se déploie l’activité physique du peuple anglais, pour l’art sous toutes les formes et, en particulier, pour le théâtre. Si, de nos jours, la scène anglaise tend à