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dans l’Inde en 1875, qui fut vraiment un événement historique et servit de préface au couronnement de sa mère comme impératrice des Indes, il n’avait été associé à aucun acte important, n’avait eu part à aucune des hautes fonctions que gardait encore la royauté. Bien éloigné de l’attitude remuante et frondeuse qui caractérisait les princes de Galles de jadis, il se renfermait dans une sorte d’indifférence, se laissait accuser de n’aimer que les chevaux, les cartes et le théâtre, d’être un indolent, lui qui allait être le roi travailleur par excellence et finir comme l’empereur Sévère dont le dernier mot fut : Laboremus. C’est ainsi que le prince Edouard put arriver au jour de son avènement sans que personne, en dehors de son cercle intime, eût soupçonné ses grandes facultés politiques.


II

S’aperçut-on, dès le premier jour, que la royauté avait changé de mains et qu’un esprit tout différent allait présider à la direction des affaires ? Non, car la première qualité d’Edouard VII était le tact, la prudence : or, le tact et la prudence conseillent, en politique, d’éviter les coups de théâtre. Aussi bien le nouveau roi ne s’apprêtait pas à renverser les pratiques royales établies sous le règne précédent, mais à les régulariser et à les systématiser. J’insiste sur ce point que Victoria prétendait exercer, et exerçait, en effet, une autorité réelle dans les choses du gouvernement. J’y insiste d’autant plus que je suis tombé, de son vivant, dans l’erreur que j’essaie de rectifier. La publication de sa correspondance m’a ouvert les yeux et un très curieux article où Lecky, le pénétrant observateur de l’évolution politique contemporaine, a noté tous les actes politiques de la vieille Reine pendant son règne de soixante-trois ans, a achevé de me convaincre et a défini, pour moi, d’une manière précise les revers de ce qu’on pourrait appeler la politique personnelle de Victoria. Son oncle Léopold, Stockmar, surtout le prince Albert, — et là est le secret de l’animosité sourde que ne cessaient de lui témoigner les grands chefs whigs, de 1840 à 1860, — lui persuadèrent que son premier devoir envers le pays était de défendre la prérogative royale contre les empiétemens du parlementarisme, — ce qu’elle fit et continua de faire, très