Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/725

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quette mise à la porte et la réalité qui est à l’intérieur. Cette opposition vient de se manifester d’une manière particulièrement éclatante à propos de la réunion de la Chambre crétoise. Si le sujet n’était pas aussi sérieux par les conséquences qu’il risque d’avoir, on pourrait croire à une opérette. La Crète appartient à la Porte, c’est entendu ; mais le premier acte des députés crétois a été de prêter serment au roi de Grèce, considéré comme le souverain du pays. Cela s’est déjà fait, disent les Crétois ; c’est donc le maintien du statu quo ; qu’y a-t-il là à reprendre ? Sans se reporter au passé, on peut constater dans le présent un fait nouveau. Il y a, dans l’assemblée crétoise, un certain nombre de députés musulmans qui, après avoir élevé une protestation formelle contre le serment prêté à un souverain étranger, ont naturellement refusé de le prêter eux-mêmes, et se sont même retirés pour donner plus d’accent à leur démarche ; mais les Crétois en ont profité pour donner, à leur tour, plus d’accent à leur manifestation, et, quand les députés musulmans ont voulu rentrer, ils les ont consignés à la porte de la salle, sous prétexte d’éviter des manifestations qui auraient pu devenir regrettables. On comprend que le gouvernement ottoman se soit ému de pareils actes ; il en a saisi les quatre puissances protectrices ; il a demandé une nouvelle reconnaissance de ses droits et un règlement définitif de la question crétoise. Déjà plusieurs notes ont été échangées. Pour ce qui est de la reconnaissance de ses droits, le gouvernement ottoman obtient toujours pleine satisfaction : les quatre puissances ont déclaré très volontiers que le serment prêté par l’assemblée crétoise au roi de Grèce n’avait aucune importance. Jusque-là tout va bien, parce qu’il ne s’agit que de déclarations verbales ; c’est ensuite que les difficultés commencent. Que faire pour réduire la Crète au respect des engagemens internationaux que les puissances prennent pour elle, mais sans elle ? Des mesures coercitives seraient seules efficaces, et on hésite à les prendre. Hésitations naturelles, mais fâcheuses, parce que la situation se complique et s’aggrave en se prolongeant, et qu’on a le sentiment d’un danger qui, d’un moment à l’autre, peut éclater. Ce danger est que la Porte ne perde patience et que, si elle ne peut pas agir directement sur la Crète, elle ne cherche une diversion du côté de la Grèce. Il n’est pas douteux que les manifestations de la Crète, embarrassantes et irritantes pour l’Europe, embarrassent moins, mais irritent bien davantage encore le patriotisme ombrageux de la Jeune-Turquie. En ce moment, la révolte de l’Albanie occupe le gouvernement ottoman ; l’occasion a donc pu paraître favorable