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que par la force des armes : répond que lui et tous ceux d’Orléans pensent qu’elle est venue de Dieu à leur secours et que, sans cela, ils seroient sous la puissance des Anglois. Il ne croit pas que ni les habitans, ni les soldats eussent pu résister à l’attaque des adversaires qui avoient, alors, pris le dessus. » (Procès, III, 26.)

Ce sentiment simple gagne et se répand par toute la France. Les ardens s’enflamment, les prudens s’inclinent, les dévots adorent, les hommes d’armes s’arment ; tous adhèrent, chacun selon son caractère. A la Cour, dans les provinces, à l’étranger, chez les adversaires, en Angleterre, partout, c’est le même ébranlement : seulement, ce qui est joie aux uns est terreur aux autres. On se presse, dans les églises, au nom de « l’Angélique, » qui réalise la devise de Jean d’Harcourt : Expellere per angelum Anglos ; on organise des processions en son honneur ; on frappe des médailles à son image ; on élève sa figure sur les autels.

Plus tard, au procès, les juges attestent la dévotion populaire, en y cherchant un grief contre l’accusée : « Item, ladite Jeanne, par ses inventions, a séduit le peuple catholique ; beaucoup en sa présence l’ont adorée comme sainte et l’adorent encore en son absence, commandant, en son honneur, messes et quêtes dans les églises ; bien plus, ils la déclarent la plus grande parmi les saints, hormis la Sainte-Vierge ; ils élèvent des images et des représentations d’elle dans les basiliques consacrées : ils portent sur eux sa figure en plomb ou autre métal, comme on fait pour les saints canonisés ; ils la proclament partout envoyée de Dieu et ange plutôt que femme[1]. »

Il faut tout le bon sens de Jeanne pour qu’elle échappe à la contagion de cette ivresse idolâtre : « En vérité, dit-elle au procès, je ne m’en aurais su garder, si Dieu ne m’en avait gardé lui-même. »

A Rome, en pleine cour pontificale, un clerc français, attaché au pape Martin V, témoigne, dès 1429, de l’émotion religieuse produite par les premiers exploits de Jeanne d’Arc : « En trois jours, toute l’armée anglaise fut condamnée à l’inaction ou à la fuite. A voir le brillant appareil de cette armée, la force des combattans, le courage des gens d’armes, les bonnes dispositions prises par les chefs, on eût pensé que les forces réunies de l’univers n’auraient pas pu faire en un mois ce que la

  1. Procès (I, 290). — Voyez P. Lanery d’Arc, le Culte de Jeanne d’Arc au XVe siècle, 1887, in-8.