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formule, se cache peut-être l’idée où se rapporterait le mieux la longue carrière du maître lombard : celle d’un continuel progrès dans une identité constante. Encore lui, toujours lui, mais lui de plus en plus vrai, de plus en plus pur, tel fut Verdi, de ses premiers à ses derniers ouvrages, et le monde a vu peu d’exemples d’un génie à la fois aussi fidèle et aussi renouvelé.

Aida, par exemple, accorde encore beaucoup au dehors. Éclatante ou gracieuse, avec des restes de négligence et de vulgarité, il arrive que la musique y effleure les personnages, ou les environne, plutôt que de les remplir et de les animer. Tous musicaux, tous chantans, ils ne vivent ni tous ni toujours par la musique et par le chant. La musique, encore une fois, ne manque jamais autour d’eux ; souvent elle n’est pas en eux, elle n’est pas eux. Prenons le finale, magnifique au demeurant, et pour diverses raisons, du second acte. La magnificence en est surtout extérieure et décorative. Mais ailleurs, voici que ces dehors mêmes, dont nous parlons, vont prendre un caractère, une valeur que Verdi jusque-là ne leur avait pas donnés. La couleur qu’on nomme « locale » n’est pas dans Aida la moins brillante ; en même temps elle y est la plus sobre, la plus exacte et jusqu’ici la plus solide. Sur aucun point de l’ouvrage elle ne s’est écaillée ou n’a seulement pâli. C’est un chef-d’œuvre d’exotique liturgie que la scène du temple. Grand effet par de petits moyens, et l’on sait lesquels : dans un ton ou plutôt sur un mode légèrement altéré, un hymne trois fois repris, qu’une harpe accompagne, auquel répond un chœur, et que suit, modulée par trois flûtes sacrées, une danse, très brève, de prêtresses. Vienne ensuite, et surtout, le troisième acte de l’opéra, l’exotisme y aura plus de part encore et de beauté. Alors le paysage et le drame, les choses et les êtres se mêleront, et sous leur double et réciproque influence, la musique de Verdi se partagera, comme jamais elle ne l’avait fait jusqu’alors, entre la poésie de la nature et les passions de l’humanité.

« Tôt ou tard on ne jouit que des âmes. » Otello, bien autrement qu’Aida, justifie, en s’y conformant, cette maxime d’un moraliste, qui devrait servir de règle à tous les musiciens. Le troisième acte d’Otello, comme le second d’Aida, s’achève encore par un grand finale à l’italienne, une de ces vastes et somptueuses ordonnances latines, dont le « Sommo Carlo, » d’Ernani demeure, dans l’œuvre de Verdi, le modèle primitif, que Verdi lui-même a mainte fois reproduit et dépassé. Par la musique pure, par l’abondance des idées plus éclatantes que profondes, mais enfin par leur abondance, le finale d’Aida