Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/516

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les événemens qui, pendant plus d’un siècle, avaient tenu ses destinées en suspens. Pour comprendre l’histoire de Jeanne d’Arc, il faut pourtant se replacer dans les dispositions des fidèles, aux temps où elle parut.

Le grand schisme avait été, on le sait, une crise redoutable ; mais ce qu’on sait moins, c’est que les contemporains avaient fini par s’habituer et s’accommoder à la tempête. Ils subissaient les conséquences fatales d’un tel désastre : diversité d’obédience, localisation de l’autorité ecclésiastique, supériorité des conciles sur le Pape et, peu s’en fallait, des églises particulières sur l’église générale, accroissement des aristocraties cléricales, suprématie des pouvoirs civils, empiétement des grands corps, dissémination et indiscipline des ordres religieux, formations désordonnées et incohérentes de disciplines particulières, sans compter les suites plus graves et extérieures à l’Église elle-même, hérésie, matérialisme, superstition.

Quand Jeanne d’Arc vint au monde (soit janvier 1411, soit janvier 1412), pour les Français, à la lettre, il n’y avait plus de Pape ; ou, plutôt, comme il y en avait trois, l’embarras de choisir et le dégoût du choix avaient fini par porter la France à se détacher de l’Eglise universelle, à se tenir en dehors et dans l’expectative ; comme on disait alors, « elle s’était soustraite à l’obédience. »

En vue de pourvoir au gouvernement de l’Eglise de France, on s’en remit à cette Eglise elle-même : à partir de 1408, les assemblées du clergé national s’étaient attribué, sous l’œil et avec l’appui du prince, l’autorité nécessaire pour faire aller les choses pendant le temps où on ne reconnaîtrait plus de Pape.

L’Eglise romaine s’efforçait, mais en vain, de remédier à un tel état de choses ; le Concile de Pise n’aboutit pas. Alexandre V, élu par ce concile, et son successeur, Jean XXIII, ne surent ni restaurer la catholicité, ni reprendre l’autorité sur l’Eglise de France. C’est le moment où Pierre d’Ailli, Clémangis, Jean Gerson répandent leurs plaintes les plus touchantes, leurs prévisions les plus tristes sur l’avenir de la chrétienté. Rome a, comme l’Angleterre, sa prophétie de l’évêque de Carlisle et c’est celle où Jean Gerson prévoit Luther : « Je t’ai faite belle à ravir et toutes les nations admiraient tes charmes. Mais tu as eu trop de confiance en ta beauté, c’est-à-dire dans l’abondance de tes