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état d’imposer ses nationaux à l’étranger, comme jadis l’Angleterre imposa l’opium, à coups de canon.

L’émigration ne se porte pas uniquement vers le Sud et l’Est ; elle s’étend également vers le Nord et le Nord-Ouest. Des régions, presque inhabitées, il y a trente ans, et qui passaient pour inhospitalières, sont aujourd’hui cultivées et prospères. C’est le résultat de l’œuvre russe en Asie, l’œuvre des chemins, de fer. Sa grandeur n’est pas appréciée à sa valeur. Grâce à elle, l’Europe peut regarder sans inquiétude la progression vers l’Ouest des populations Jaunes. Pour se rendre compte de leur mouvement, il faut se rappeler ce qu’étaient, il y a cinquante ans, les territoires qui s’étendent à l’Est du lac Baïkal jusqu’au Pacifique. Ils comprennent trois provinces russes : Transbaïkal, Amour, Province maritime et deux provinces de la Mandchourie du Nord. Tsitsihar et Kirin. En 1858, un savant russe, Véniukoff[1], parcourait ces régions. Parti du confluent de l’Amour et de l’Oussouri, il remonta cette rivière et explora le pays, jusqu’à la Tiumen, qui sert actuellement de frontière entre la pointe Sud de la Province maritime, la Corée et la Mandchourie. Véniukoff n’avait rencontré qu’un très petit nombre de faibles groupes épars, indigènes Toungouzes, chasseurs de zibelines ou pêcheurs. Ces pauvres gens sans armes étaient terrorisés par quelques postes mandchoux, établis le long des cours d’eau afin d’extorquer, comme tribut, le produit de leur chasse. Dans le Sud seulement quelques fermiers chinois cultivaient le Ginseng. Ce territoire mesurant plusieurs milliers de kilomètres carrés était presque inhabité. Les rapports de Véniukoff décidèrent le gouvernement russe à demander aux Chinois, outre la rive gauche de l’Amour, le territoire de la Province maritime. La Chine avait si peu d’action sur ces régions, elle y tenait si peu que la demande russe, agréée sans difficulté, fut inscrite dans le traité de Pékin de 1800. Bientôt des villes russes surgirent le long de l’Amour : Ust-Strelotchnoï, au confluent de la Shilka, 800 kilomètres à l’Est du Baïkal ; Komarsk, Blagovestchenk, Aïgun, Khabarovsk au confluent de l’Oussouri. Cette dernière ville prit une telle importance qu’en 1880, elle remplaçait le port de Nicolaïevsk, à 400 kilomètres en aval, comme centre administratif du territoire de la côte du Pacifique. Placée à

  1. The coming struggle, by Pulnam Weale, Londres, 1909.