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un peu de son intérêt. Ajoutons, — et M. le président du Conseil n’a pas manqué de le faire remarquer à la Chambre, — que tous ces faits étaient connus, que des gens dont la vertu aurait été aussi impatiente que farouche auraient pu les livrer au public depuis longtemps déjà, et qu’ils ont attendu pour le faire le lendemain du jour où M. Clemenceau venait de s’embarquer pour l’Amérique du Sud. A peine y a-t-il débarqué qu’on Fa interviewé : les agences ont transmis ses réponses où l’on ne retrouve pas sa précision habituelle. Mais il a des excuses si, au bout de deux ans, ses souvenirs sont confus et s’il n’a pas très bien compris comment la question se présente aujourd’hui. On annonce son retour pour la fin d’août : il faut l’attendre.

Ce sont MM. Jaurès, Charles Leboucq et Ceccaldi qui ont interpellé le gouvernement sur les affaires Rochette : le premier surtout. Quelle bonne fortune pour lui ! Il avait affaire à une Chambre jeune, inexpérimentée, impressionnable, à laquelle il pouvait servir un de ces scandales qui ont autrefois troublé et égaré des assemblées moins novices. Il pouvait faire montre de son talent, de son adresse, et surtout de sa vertu et de celle de ses amis collectivistes. En opposition avec cette vertu immaculée, il pouvait dénoncer les abus du monde capitaliste et le désarroi d’une administration qui, n’ayant aucune règle, ne savait qu’obéir docilement aux impulsions venues de ce monde immoral où l’argent est tout. Sans prendre la défense de Rochette, très suspect malgré tout, il pouvait montrer les puissances d’argent dressées contre l’aventurier coupable peut-être mais non pas plus que tant d’autres qui n’ont sur lui d’autre supériorité que celle du succès. M. Jaurès n’était pas homme à perdre une si admirable occasion et il a mis en œuvre toutes ses ressources d’esprit pour en tirer bon parti. Mais que pouvait-il invoquer ? Nous l’avons dit : des suppositions ; il ne lui manquait qu’une chose : des preuves. Le procédé dont il s’est servi ressemble beaucoup à celui de ces romanciers spéciaux dont on peut lire les feuilletons dans certains journaux. On y voit des financiers criminels, mais tout-puissans, des hommes politiques complices, à moins qu’ils ne soient les instigateurs du crime, une police complaisante, des ministres qui, pour des motifs quelconques, sont tenus d’obéir et qui obéissent. Et sans doute les œuvres de ce genre reposent sur des données premières tout aussi fragiles que celles dont disposait M. Jaurès ; l’imagination en fait tous les frais ; mais pourquoi parvient-elle quelquefois à les rendre vraisemblables ? C’est que les