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Joseph fut saisi d’un frisson de joie. Il courut vers la fenêtre du wagon désigné, et regarda à l’intérieur. Oui, c’était bien elle, cette ombre merveilleuse dont il rêvait et qu’appelait bien souvent son âme désolée, cette adorable apparition qu’il connaissait seulement pour l’avoir vue, tous les ans, s’en aller ainsi quelque part dans le monde, et en revenir !

Elle était assise avec une vieille dame imposante ; et, ayant aperçu la figure du jeune employé à la lumière de la lampe électrique, elle lui sourit si aimablement, comme toujours, que d’un geste inconscient il leva sa main jusqu’à sa casquette, tout en fixant sur la voyageuse des yeux pleins d’amour. Après quoi, la jeune femme, sans doute, parla de lui à sa compagne, car la vieille dame, à son tour, daigna lui adresser un sourire indulgent. Et Joseph se répétait à soi-même, tout bas, joyeusement :

— Ma princesse m’a reconnu ! Elle m’a reconnu !

L’ouragan le battait et le recouvrait de neige : mais il continuait à rester là, comme hypnotisé, regardant la jeune voyageuse avec des yeux brûlans. « Je t’attendais, ma bien-aimée, je savais que tu allais venir ! » soupirait-il, pendant que sa poitrine se soulevait de plus en plus vite, et que devant ses yeux s’allumaient des étoiles.

De nouveau il vit s’épanouir le sourire céleste. Soudain la fenêtre du wagon tomba bruyamment, et l’inconnue se dressa debout, dans l’ouverture, tout près de son amoureux. Incapable de croire à la réalité de son bonheur, il entendit une voix douce et chantante :

— Pourquoi donc restons-nous si longtemps ici ?

Il voulut répondre ; mais sa gorge s’étrangla, et il sentit que tout son visage s’inondait de rougeur. La princesse blanche sourit de nouveau, et, plongeant sur lui ses grands yeux violets, d’un ton impérieux lui demanda encore :

— Croyez-vous que nous ayons chance de parvenir jusqu’à la frontière ?

— Oh ! sûrement ! Tout au plus avec un petit retard !

Il avait fini par retrouver la parole, mais sa voix tremblait d’émotion ravie. Puis ils se regardèrent en silence pendant quelques instans ; et dans les yeux de Joseph la jeune femme lut une si ardente prière d’admiration et d’amour que ses propres lèvres frémirent, et qu’une nuance de rose traversa la divine pâleur de son visage ; et puis elle serra plus étroitement contre elle son manteau de fourrure.

— Et vous ne craignez pas que la neige nous submerge, quelque part en chemin ?

— Oh ! non ! c’est impossible !

— Merci beaucoup !

Elle demeurait là, comme si elle eût attendu une réponse ; et ses yeux violets le dévisageaient maintenant avec une bienveillance plus marquée. Mais lui, hélas ! il ne savait que répondre. Des milliers d’idées et de mots lui affluaient à l’esprit et lui agitaient les lèvres ; ses yeux enflammés projetaient vers elle un hymne d’adoration extasié, son cœur se démenait follement : et toujours impossible d’énoncer une seule parole ! Après un moment d’attente, la voyageuse lui sourit une dernière fois, referma la fenêtre, et revint vers sa compagne. Le train, d’ailleurs, était sur le point