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cette guerre, concluait M. Friedberg, comme de celle de 1870 : la direction unique de l’homme qui a créé pour nous la patrie allemande, nous mènera à la victoire. »

Ainsi se terminaient, par un appel à Bismarck, les projets d’avenir que construisait M. Friedberg. Falk était content : la doctrine de M. Friedberg répondait à ses propres instincts. Falk aimait à porter, dans l’administration des cultes, un esprit d’étroite minutie, et une rigueur un peu sèche ; sa nature ignorait les élans de la colère, et la violence des à-coups. Pas de caprices chez lui, pas de souplesse politique non plus. Voyant devant lui une série de problèmes à résoudre, concernant les rapports entre les évêques et l’Etat, il considérait ces problèmes comme un objet de science. Un savant lui apportait des solutions nettes, bien dessinées ; il les préférait à toute autre. Il y avait là pour Falk des questions de géométrie politique : M. Friedberg était un géomètre. Mais pour ce Bismarck dont dépendait Falk et qu’invoquait M. Friedberg, il y avait là des questions de politique tout court. La politique est changeante, au gré de l’humeur, au gré des circonstances ; la géométrie politique, elle, est inflexible. Cette inflexibilité déplaisait à Bismarck ; s’enchaîner lui-même en voulant enchaîner l’Église lui était désagréable. Il aspirait, suivant son caprice ou suivant les besoins de l’heure, à tyranniser ou bien à abdiquer ; les projets de Falk et de M. Friedberg contraindraient l’Etat de se comporter toujours en tyran. La géométrie politique, appliquée par des bureaux, paralyserait le jeu de la politique, concerté par un Bismarck. De là surgissaient, entre Bismarck et Falk, certaines diversités qui les agaçaient tous les deux.

« Le chancelier ne veut aucun plan, murmurait Falk ; il ne veut aucune décision de principe qui ait une force contraignante ; car il tient à garder les mains libres, afin de pouvoir, selon les cas, agir et trancher ; je ne peux réussir à ce qu’on ait une politique systématique. » A certaines heures, cette mésentente s’accentuait : alors on voyait Bismarck songer au remplacement de Falk, et faire sonder l’économiste Rodbertus pour savoir si d’aventure il accepterait le ministère des Cultes ; ou bien on entendait Falk témoigner l’intention de prendre bientôt sa retraite. Il n’était pas jusqu’au grand-duc de Bade en personne qui ne reçût les confidences de Falk et qui ne devint ainsi le témoin de la désunion entre Falk et Bismarck.