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IV

En cet automne de 1872, Bismarck était peut-être plus excité que résolu. Recevant d’un certain nombre de parlementaires anglais une adresse hostile à l’ultramontanisme, il leur répondait : « Dieu nous protégera contre ceux mêmes de nos ennemis qui couvrent de son nom sacré leur hostilité contre notre paix intérieure. » Très sincèrement, très religieusement même, il escomptait que Dieu aiderait l’Etat. Mais l’État lui-même, comment s’aiderait-il ? Bismarck sentait, tout le premier, que des résistances s’insurgeraient, à la Cour, et dans la conscience même de l’Empereur, contre une politique violente ; il ne pouvait ignorer que le théologien protestant Gelzer, qui donnait devant Guillaume des conférences sur la question catholique, désapprouvait et redoutait les persécutions imminentes.

« La question brûlante, notait le 4 novembre 1872 Charles-Antoine de Hohenzollern, père du roi de Roumanie, c’est la question ecclésiastique ; elle soulève beaucoup de poussière aigrit la vie de famille, et recèle incontestablement des dangers pour l’avenir. » Tout catholique qu’il fût, il prenait le parti de l’État, et, par une alliance de mots que Bismarck eût aimée, il reprochait « aux ultramontains et à la France » de faire croire que la Prusse voulait « tout rendre protestant. » L’Empereur le consultait ; Charles-Antoine était d’avis qu’on ne pouvait éviter la lutte. Il conseillait à Guillaume de ne jamais s’engager dans des querelles théologiques ou dogmatiques : car l’histoire enseigne, observait-il sagement, que l’État est toujours obligé d’en venir à composition, sur ce terrain. Mais quant aux « cas concrets » intéressant les rapports entre l’Eglise et l’État, il engageait l’Empereur à les résoudre toujours « avec la plus grande énergie. » En somme, écrivait-il à son fils, « on a seulement besoin d’introduire encore le mariage civil, la séparation de l’Église et de l’école, et les examens d’Etat pour les ecclésiastiques. Mais à part cela, il faut laisser à l’Église sa liberté ; l’Etat n’a pas à s’inquiéter des dogmes, car ceux-ci relèvent exclusivement de la conscience des catholiques. » L’impression finale de Charles-Antoine de Hohenzollern était une impression d’ennui : les conflits qui s’annonçaient lui paraissaient « très peu réjouissans. » Nous tromperions-nous beaucoup en devinant,