Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/582

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il était naturel qu’à l’unisson tous les représentans des confessions chrétiennes positives vibrassent d’émotion ; car la lutte que la Prusse engageait, et dans laquelle côte à côte ils combattraient, venait de recevoir un nom, elle s’appelait désormais Culturkampf, combat pour la civilisation ; et l’enthousiaste parrain qui, dans la séance du 17 janvier, l’avait ainsi baptisée pour la longue suite des siècles, n’était autre que le célèbre matérialiste Virchow, ennemi de Dieu et de son Christ. La besogne où l’Allemagne était entraînée par Otto de Bismarck, homme de foi, par Otto de Bismarck, bénéficiaire de la Rédemption, était désormais définie et nommée par le plus illustre représentant de l’athéisme allemand : « On inaugurait, disait-il, un grand Culturkampf pour l’émancipation de l’État. » Il paraît que Falk n’aimait pas cette expression, qu’il y trouvait un manque de goût ; mais dans toute la presse elle faisait fortune ; et Falk devait subir le mot Culturkampf, comme Bismarck avait dû subir, peu à peu, la nécessité d’un programme méthodique de combat, et comme Guillaume, peu à peu, avait dû se résigner à la nécessité même du combat. Toutes ces volontés, souveraines et ministérielles, s’étaient engrenées elles-mêmes dans un rouage désormais incoercible, et qui les entraînait.

Mais il fallait marcher. Par tous les moyens, déclarait Falk, il importe que ces lois soient votées avant la fin de la session. La sommation visait la Chambre des Seigneurs, et recelait une menace : on savait, déjà, que la commission nommée par cette Chambre pour l’examen des projets de loi était exactement partagée par moitié, et cela paraissait d’un médiocre augure.

Le 10 mars, lorsque se discutèrent devant elle les ajouts qu’il seyait d’apporter à la Constitution, Bismarck en personne parut. Il n’appartenait plus au ministère prussien, et cependant il intervenait. Sept semaines durant, il s’était tenu à l’écart des débats religieux qui s’étaient déroulés au Landtag, soit qu’il fût accablé par les graves désagrémens qui venaient d’entacher la réputation de son vieil ami Wagener, soit qu’il fût aise de se créer un alibi pour établir plus tard qu’il n’était pas complètement responsable de cette besogne législative. Mais devant la Chambre des Seigneurs, il jugea bon de parler comme chancelier. Dès qu’il sentait imminente l’opposition des conservateurs, il bondissait malgré lui ; il avait besoin, alors, de crier à ses anciens amis qu’ils étaient coupables de la déchirure survenue,