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et chaque mot qu’il disait pour les en convaincre rendait leur culpabilité plus lourde et la déchirure plus large. « La confiance est une plante délicate, leur signifia-t-il ; une fois détruite, elle ne renaît pas de ses cendres. » Il leur dit que s’il avait quitté la présidence du ministère prussien, c’était à cause d’eux. Ainsi les accusait-il, pour intimider leur vote final ; il considérait, apparemment, que le meilleur moyen de les dresser à la docilité était de leur faire honte pour leurs actes d’indépendance. Il avait cessé, non pas seulement de les aimer, mais même de les respecter. Une fois encore, il leur infligea l’histoire de ses démêlés avec le Centre, et des événemens qui l’avaient poussé à se tourner contre l’Eglise, et à dénoncer l’armistice. Une théorie apparaissait sur ses lèvres, mûrement concertée, de laquelle il résultait, tout ensemble, que le Culturkampf était nécessaire, et que la durée en serait limitée : il parlait d’un éternel conflit de pouvoirs entre la royauté et la prêtrise, où les luttes alternaient avec les trêves : le Culturkampf aussi, aboutirait à une trêve. Agamemnon s’était querellé contre les devins ; et puis, au moyen âge, les empereurs contre les papes, et le dernier Hohenstaufen avait péri sur l’échafaud, sous la hache d’un conquérant français, complice du Saint-Siège. De tels conflits n’avaient rien de confessionnel ; leur caractère était exclusivement politique. Ces conflits, comme toutes les rivalités séculaires, nécessitaient des alliances, comportaient des arrêts, s’interrompaient par des armistices. La constitution de 1850 avait été l’un de ces armistices ; mais l’expérience l’avait révélée dangereuse. La faute en était au Centre : l’Etat devait aviser.

La faute, insistait Roon, en est au Concile ; il avait déjà parlé, dans l’autre Chambre, de ces évêques partis Allemands pour le Concile, et que le sirocco avait ramenés Romains : « Nous ne pouvons vivre sans ces projets de loi, continua-t-il ; notre vie publique est menacée. »

La faute, déclarait Falk, en est aux vices mêmes de la Constitution, inspirée par l’esprit suranné de 1848.

Ainsi trois représentans du gouvernement, s’expliquant chacun à son tour sur les causes du Culturkampf, instituaient trois procès différens : le Centre de 1871, le Concile de 1870, les constituans de 1848, étaient tour à tour mis en accusation.

Mais toute la Prusse écouta lorsque se leva Manteuffel, qui, vingt ans auparavant, avait présidé le ministère prussien : il