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et que nous allions « changer tout cela. » Il comprit le secret de la doctrine des maîtres. Déjà, à la mairie du Louvre, en tête à tête avec les murs d’une salle des mariages, il avait dû s’avouer que le Code civil et le costume contemporain offrent au décorateur une ressource assez chiche ; il avait remplacé la noce en redingote et le roman bourgeois par des oaristys, une scène des Géorgiques et un groupe émouvant de Philémon et Baucis qui n’ont rien, comme on voit, de positivement actuel. Rome et Venise achevèrent de le débarrasser du sophisme moderne, et de l’édifier sur la valeur incomparable de la pensée classique.

On ne récrit pas les pages de Fromentin sur l’humanisme. C’était, comme on sait, le système qui consistait à faire un choix entre les choses, à les résumer plutôt qu’à les décrire, et à tout exprimer en fonction de l’homme. Les faits et les idées, le monde physique et le monde moral respiraient en un peuple de figures harmonieuses, qui toutes se réduisaient à l’homme et se calquaient sur lui. L’homme était réellement la mesure de toutes choses. Sa forme se répétait dans toute la nature. Cette manière de voir paraissait si parfaite, que la religion elle-même ne s’était pas cru le droit de l’interdire. C’était une seconde Eglise, celle des intelligences. Elle les faisait communiquer avec la double antiquité, et avec ce qu’elle embrasse encore par-delà de lointains plus reculés et de perspectives plus profondes. Et cela constituait ce qui s’appelait la « culture, » le fonds intellectuel et moral, le capital sans cesse accru de chefs-d’œuvre dont se nourrissaient l’esprit et l’imagination, l’art et la poésie.

Cette combinaison, la plus haute sans doute qu’ait réalisée notre espèce, et dans la formule de laquelle entraient, en proportions diverses, Homère et l’Evangile, la Grèce et l’Italie, ce divin amalgame résultant de la fusion des trois ou quatre histoires qui se rencontrèrent aux abords du monde méditerranéen, voilà ce que la science nous sommait d’abjurer. Le moment, entre parenthèses, était singulièrement choisi, à l’heure où la critique, en retrouvant le sens des mythes primitifs, venait de rendre aux dieux une nouvelle jeunesse. Les fables cessaient d’être un dictionnaire de périphrases et d’élégances défraîchies : elles formaient, au contraire, sur la nature des choses, un système de vues et d’intuitions profondes, une philosophie qui