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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/122

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n’a pas plus de rides que l’ordre universel qu’elle exprimait jadis à l’aurore du monde. Ces fictions merveilleuses répondent à des lois des choses et de l’esprit ; elles traduisent des vérités, d’un autre ordre sans doute, mais non d’un moindre prix, que celles de la science. Ce sont deux langues distinctes embrassant deux aspects de la nature et de la pensée. Or, en fait de langage, point de création arbitraire. De même que l’idée la plus subtile et la plus neuve n’est qu’une variation tirée de quelques radicaux élémentaires, de même il ne saurait y avoir de grand art en dehors des motifs généraux que nous tenons de la tradition supérieure du genre humain. Leur puissance expressive est loin d’être épuisée. Le néologisme d’ailleurs n’eût-il que ce désavantage, qui ne sait ce qu’ajoute à la magie d’une œuvre la richesse anonyme accumulée dans le langage, la somme de résonances et d’associations qu’il éveille dans l’esprit, et ce trésor impersonnel qu’enveloppent les mots qui ont un long passé ?

Tels sont les enseignemens et les conclusions que le peintre rapporta de son voyage d’Italie. Depuis les peintures de l’Ecole de Pharmacie, on voit le chemin parcouru. D’ailleurs, à fréquenter le palais des Doges et le palais Barberini, et une foule d’églises de Venise ou de Home, l’artiste s’était convaincu que les maîtres de la « décadence » (que nous regardons depuis David comme des peintres à ne pas nommer) font assez belle figure pour une école dégénérée, et qu’ici encore notre manie d’archaïsme ou de nouveautés nous avait conduits à une furieuse intolérance. Cette école du plafonnement et de la vision en coupole, cette légion d’artistes des voûtes et des dômes n’est en somme que la fleur suprême d’un genre qui commence à Mantegna et à Corrège ; il n’y a pas de raison, une fois le principe admis, pour condamner les résultats. Pour M. Besnard, avec le tour particulier de ses idées, leur mode de retentissement, leur façon oratoire de s’arrondir et de s’élever ; avec sa manière d’agir à l’imitation du soleil, et qui consiste à essorer, à volatiliser, à ne retenir des choses que la gloire, que ce qui brille, flotte, s’exhale et s’évapore ; avec sa nature, pour tout dire, enthousiaste et lyrique, il trouvait dans un pareil style des convenantes profondes. Cette formule planante était bien celle qu’il fallait à l’élan de ses pensées et à leur trajet ascendant, la seule qui convînt au libre jeu d’êtres et de formes entièrement dégagés du