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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/183

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Là-dessus, se donne la giostra de 1475, une de ces fêtes qui sont pour une génération comme un faisceau lumineux, un épanouissement spontané, un miroir où la nation se reconnaît avec toutes ses réserves de forces, d’art, de richesses, de volonté, — quelque chose comme ce que fut, pour la France de notre temps, l’Exposition de 1889, pour l’Angleterre la revue de Spithead, — un de ces microcosmes éblouissans et disparus, dont les témoins fatiguent les générations qui suivent, en les leur décrivant sans pouvoir leur en montrer le moindre vestige. Cette giostra, ou tournoi, est donnée en l’honneur de la belle Simonetta, au jour anniversaire de son baptême, le 28 janvier 1475. Sur cette triste place Santa Croce, dont le nom n’évêque plus aujourd’hui chez les touristes qu’une idée de tombeaux, on voit Julien de Médicis s’avancer dans la lice avec une bannière où Simonetta est peinte en Pallas casquée et soulignée de ces mots écrits en français : La sans pareille. Il y triomphe naturellement, les Florentins étant experts à bien ordonner toute fête, et Simonetta le couronne, de ses mains, aux applaudissemens de tout un peuple, — un peuple échafaudé sur les marches de la vieille église franciscaine, tassé dans les tribunes en planches, serré dans les fenêtres en encorbellement d’où pendent de longs tapis. Florence tout entière se mire avec orgueil dans ce couple, parfait exemplaire de l’humanité que son effort vers le Beau a produite.

A partir de cette heure, l’amour platonique des deux héros ne pouvait plus grandir ni se fixer que dans la mort. Les destinées qui avaient si bien composé ces deux vies, comme une œuvre d’art, n’y manquèrent pas. Un an après, en avril 1476, Simonetta mourait de phtisie. Deux ans plus tard, presque jour pour jour, le 26 avril 1478, Julien tombait frappé par les gens des Pazzi, dans le chœur de Sainte-Marie des Fleurs. Les deux amoureux entraient dans l’histoire, comme Lorenzo Tornabuoni et Giovanna devaient plus tard y entrer : par la porte étroite de ceux qui sont aimés des Dieux.

Cette arrivée de Gênes, cette passion d’un jeune prince promis à une fin tragique, cette giostra, ce triomphe : voilà tout ce que nous savons de la belle Simonetta. Le reste n’est que peinture et psychologie, mais quelle peinture ! Le type de Botticelli indéfiniment repris, raffiné, idéalisé ; le type de la Primavera et de la Naissance de Vénus, — la Naissance de Vénus