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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/204

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bord du fleuve… Le nom de Penn, fondateur de cette ville, vivra toujours, car il fut le seul Européen qui fonda légalement un Etat en Amérique et qui ne le cimenta pas du sang des infortunés peuples de cet hémisphère[1]. »

Cette dernière remarque établit un lien entre la pensée de ce jeune gentilhomme français qui avait lu Rousseau et le pensif quaker qui, à la fin du XVIIe siècle, était venu fonder cette colonie de Pennsylvanie. Fils d’un riche et honorable amiral anglais, sa religiosité ne provenait point d’une obstination têtue, car ses amis mondains disaient de lui qu’il était a Quaker, or some very melancholy thing. Lui aussi il avait cultivé la belle et rare vertu de désintéressement. A la mort de son père, il s’était trouvé créancier du roi Charles II pour des sommes importantes. Au lieu de réclamer l’argent qu’on lui devait, il avait prié le souverain de lui abandonner en Amérique un territoire où il pourrait accueillir ceux qui cherchaient la liberté de la parole et de la pensée. Son initiative avait eu la récompense qu’elle méritait. Les hommes qui avaient profité de cette chance s’étaient révélés industrieux et paisibles, la plupart des quakers qui partageaient les idées fraternelles de leur chef. Ce chef, d’ailleurs, n’avait point cherché à imposer ses volontés. Il s’était limité au conseil. Il avait dit : « Que les hommes soient bons, et le gouvernement ne pourra être mauvais. » A l’égard de ces Indiens, contre lesquels les habitans de la Nouvelle-Angleterre s’étaient heurtés dans des disputes perpétuelles et sanglantes, il avait agi avec la même mansuétude et il avait eu lieu de s’en applaudir. Ces sauvages avaient scrupuleusement observé le traité que Penn avait passé avec eux et où il leur disait avec une naïveté émouvante : « Je ne vous appellerai pas mes enfans, parce que les parens sont quelquefois trop sévères pour leurs petits ; ni mes frères, car les frères sont souvent en contestation. L’amitié qui existe entre vous et moi, je ne la comparerai pas à une chaîne, car une chaîne se rouille et se casse. Nous sommes comme les deux parties d’un corps que l’on aurait tranché ; nous sommes de la même chair, du même sang. »

Comment ne pas remarquer que cette profession de fraternité éclaire, dans sa candeur, certains discours politiques qui, encore aujourd’hui, résonnent en Amérique, par exemple

  1. Lettres inédites, passim.