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raisonner, mais surtout nous conduire comme si les apparences des choses en épuisaient la réalité. « Quand je regarde Paris ou Londres, je ne vois aucune raison pour entrer dans ce désespoir dont parle M. Pascal ; je vois une ville qui ne ressemble en rien à une île déserte, mais peuplée, opulente, policée, et où les hommes sont heureux autant que la nature humaine le comporte. Quel est l’homme sage qui sera plein de désespoir parce qu’il ne sait pas la nature de sa pensée, parce qu’il ne connaît pas quelques attributs de la matière, parce que Dieu ne lui a pas révélé ses secrets ? Il faudrait autant se désespérer de n’avoir pas quatre pieds et deux ailes. » Voilà le point de départ du voltairianisme. C’est pour soustraire la vie sociale à toutes les obligations qui ne dérivent pas de son intérêt ou qui ne s’y ramènent point que Voltaire s’en prend dans ses Remarques à l’homme qui peut-être amis, lui, le plus hardiment, l’objet et le but de la vie hors d’elle-même. Il en a bien moins dans Pascal à l’apologiste passionné de la religion qu’à l’ennemi de l’institution sociale, au « misanthrope sublime, » — car le mot est de lui, — dont la propagande eût fait de nous une société d’anachorètes. Et en un certain sens enfin, si cette philosophie sociale n’est pas le tout et la fin, c’est le plus pur au moins de la philosophie de Locke et de Bacon.

Cependant, quelque profitable et agréable que fût pour lui le séjour de l’Angleterre, si bien accueilli qu’il y fût partout, des gens de lettres, des grands seigneurs, et jusqu’à la cour même, l’exil, après deux ans passés, commençait de sembler long à ce Français et à ce Parisien. Une ou deux fois, sous prétexte d’affaires, il avait bien obtenu l’autorisation de repasser en France, pour quelques jours seulement ; mais, si nous l’en croyons, il n’en aurait pas profité. D’ailleurs, pour obtenir son ordre de rappel, oh ne sait pas les ressorts qu’il fit jouer, n’y ayant pas de lettre de lui, dans sa Correspondance, depuis le mois d’août 1728 jusqu’au mois de mars 1729, ce qui en est, je crois, pour plus de soixante ans, la plus considérable lacune. Contentons-nous donc de dire qu’en lui permettant enfin de rentrer en France, le ministère, — c’était Fleury qui gouvernait alors, — crut devoir mettre des conditions à son retour, et lui interdire pour quelques semaines encore le séjour habituel de Paris. Parti de Londres le 10 ou le 11 mars 1729, il s’établissait donc d’abord à Saint-Germain, et ne rentrait à Paris que sur la fin