Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/332

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme à celles de Ronsard, c’est l’âme même du lyrisme, c’est l’émotion intérieure, c’est l’union du poète avec son objet. Mais en outre, incapable lui-même de revivre ses sensations, et, en les revivant, de les amplifier, ou encore le moins subjectif des hommes, s’il en est le plus personnel, Voltaire n’a pas le don de penser par images, ou de traduire ses idées en formes colorées et sonores. Et à cet égard, il est curieux, quand il essaye de peindre, lui, le maître des élégances, de le voir oublier jusqu’au souci de la correction et de la netteté :


Lorsqu’en des tourbillons de flamme et de fumée,
Cent tonnerres d’airain, précédés des éclairs,
De leurs globes brûlans renversent une armée,
Quand de guerriers les sillons sont couverts,
Tous ceux qu’épargna la foudre,
Voyant rouler dans la poudre
Leurs compagnons massacrés,
Marchent d’un pas intrépide
Sur leurs membres déchirés.


Pour que l’on cessât de trouver cela beau, et même pindarique, il fallut qu’un autre Rousseau, l’auteur des Confessions, vînt rouvrir, à la fin du siècle, les sources longtemps fermées du lyrisme. On regrette seulement, quand il lui était si facile et si naturel de ne point faire d’Odes, que Voltaire en ait tant composé.


Peu favorables à l’expansion du lyrisme, dirons-nous que les circonstances l’étaient peut-être moins encore au développement de l’épopée, à Paris, dans la rue du Long-Pont, entre un roman de Lesage et une comédie de Marivaux ? Ici du moins Voltaire pouvait-il alléguer une espèce d’excuse. Les Français, depuis cent cinquante ans, ne se consolaient pas de ne point avoir de poème épique, et cela, comme à Voltaire, leur paraissait honteux, humiliant même pour un si grand peuple. Quoi ! point de poème épique ! et les Italiens, les Anglais, les Espagnols, les Portugais se vantaient d’en avoir plusieurs ! Ils avaient le Roland et la Jérusalem, le Paradis perdu, les Lusiades ; ils s’enorgueillissaient des noms de Camoens, de Milton, de Tasse ou d’Arioste ; nous avions, nous, l’Alaric et la Pucelle, le Clovis et le Moïse, Scudéri, Chapelain, Desmarets, Saint-Amant, ce qu’il y avait de plus ridicule et de plus décrié dans la littérature ! On ne connaissait point encore la Chanson de Roland ;