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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/411

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sont restés ! » N’est-ce pas pour la mariée que plus tard on composa cette épitaphe : « Elle emporte tous les regrets, ce qui fait qu’elle n’en laisse pas ? »

Madeleine imagina de conter qu’il avait été question d’un mariage entre sa mère Suzanne, laquelle marchait allègrement vers le huit fois dix, et Chevreul qui en était lui, au dix fois dix de ses printemps. « Est-ce vrai ? demanda Charles Edmond. — Presque… Les choses allèrent très loin, mais elles n’ont pas abouti. — Pourquoi ? — Les parens n’ont pas donné leur consentement. » Dix-huit mois après la mort de sa mère, quelqu’un la rencontrant, s’étonna de la voir toujours en noir. « Comment, vous êtes donc toujours en deuil ? — Mais oui ! J’ai perdu ma pauvre mère. — Il y a longtemps déjà. Pourquoi portez-vous encore du crêpe ? — C’est qu’elle est… toujours morte. »

M. Charles Esquier nous montre la bonne Madeleine tâchant d’apaiser par des paroles et par des actes les peines intimes de l’un, recevant la confession de l’autre et le réconfortant toujours ; allant faire la charité de quelques heures de son temps à Bressant paralysé ; se faisant le terre-neuve de ceux qu’elle aimait ; accueillant le dimanche, dans son appartement de la rue de Rivoli, un petit cercle d’intimes, « ses dimanchiers » qui venaient passer là une heure exquise, et savourer le charme émanant de cette physionomie affable et de cette verve étincelante. Passant d’un sujet à un autre avec une incroyable mobilité, elle contait toujours à bâtons rompus. Comme une abeille, elle butinait dans le passé, et, pour ses amis, c’était toujours du miel. Encyclopédie vivante, elle avait beaucoup vu, beaucoup retenu. « Feuilletez-moi, » disait-elle en plaisantant, et sans se douter qu’elle reprenait un mot de Metternich. Et elle écrivait comme elle parlait, d’un style prime-sautier, alerte, grouillant de vie. Voici quelques lignes des billets à sa nièce Marie, pour qui elle signait : Ta vieille tante l’oie ou Ton vieil entomologiste ou Patata de Fontenaysia : « Je suis allée à Fresnes… J’ai porté un bouquet de sainte Suzanne. Pauvres vieilles ! Toutes trois enterrées là ! Grand’mère, maman et la mère Uchard, qui était une bonne et brave femme, me rendaient justice dans ce que j’ai pu faire de bien. C’est bien naturel, n’est-ce pas, d’aider les vieux à finir la vie, et les jeunes à la commencer. C’est un devoir… — Au revoir ! Que la sainte Vierge, ta patronne, te protège… Ne ris pas… J’ai pris