ses nuances. Puis, à travers la série de ces pièces et en les plaçant à leur date, il devient possible de suivre le talent de l’auteur dans son développement et de constater le changement qui ne peut manquer de s’être fait dans la façon dont il envisage son art et la vie. Cela aide à le mieux comprendre, et c’est le seul moyen pour briser les « formules » où la critique, qui de sa nature est paresseuse, aime à enfermer la manière d’un écrivain. Parce que M. Capus a terminé sa première pièce par ces mots : « Tout s’arrange, » et parce que le hasard jouait dans son premier grand succès, la Veine, le rôle jadis attribué à la Providence, on s’est plu à voir en lui, une fois pour toutes, le théoricien, au théâtre, d’une sorte d’optimisme fataliste. Or depuis dix ans il n’a cessé de s’éloigner de cette conception superficielle, qui avait pu suffire à ses comédies légères, mais qui eût fait trop pauvre figure dans des comédies plus sérieuses et plus larges. Ou plutôt, après s’être contenté de mettre dans la bouche de ses personnages une profession de foi adéquate à la qualité de leurs faits et gestes, il a confié à de plus dignes porte-parole le soin de traduire son opinion personnelle sur le train du monde. Et il se trouve que cette opinion est fort différente de celle qu’on persiste à lui attribuer. C’est ce point de vue que j’essaierai d’indiquer, au moment où la pièce que M. Capus fait actuellement représenter, l’Aventurier, nous permet de mesurer le chemin parcouru, en faisant ressortir le contraste qu’il y a entre les Brignol et les Julien Bréart d’hier et l’Etienne Ranson d’aujourd’hui.
A l’époque où M. Capus écrivit sa première pièce, le naturalisme, enfin expulsé du roman, cherchait à se réfugier au théâtre. Le Théâtre-Libre, dont on sait combien déplorable fut l’influence, nous avait, pour un temps, infligé la mode de la comédie rosse. L’art consistait à mettre à la scène des personnages ornés de tous les vices et qui faisaient eux-mêmes avec un superbe cynisme les honneurs de leur vilenie. C’est en vertu de cette poétique que M. Capus composa Brignol et sa fille. Brignol est l’escroc vulgaire, dont l’escroquerie n’est même pas relevée par une certaine audace qui lui donnerait un air d’aventure. Il soutire à quiconque a eu la candeur d’avoir confiance en lui quelques billets de cent francs que la malheureuse dupe ne reverra plus. C’est l’homme qui vit d’expédiens, de friponneries et de mensonges, évoluant d’ailleurs à travers les hasards d’une existence à la dérive avec une complète inconscience. « On ne peut pas dire qu’il ait de grands défauts, » insinue sa femme qui cherche à l’excuser. A quoi, quelqu’un, qui n’est pas de ses amis, mais qui le