connaît bien, répond : « Il vaudrait beaucoup mieux qu’il eût des défauts, et même des vices. Les vices » sont des choses claires, connues : on les combat… il y a toujours de la ressource avec les gens qui ont de bons vices. Ton mari, lui, est fuyant : il n’a aucun caractère, ni bon, ni mauvais, et je ne te dissimule pas qu’il est capable de commettre les actes les plus dangereux, peut-être même sans mauvaise intention. » Ceux qui vivent auprès d’un tel individu, dans son atmosphère journalière, comment voulez-vous qu’ils ne soient pas malgré eux atteints par la contagion ? Mme Brignol vit surtout de privations, j’entends bien ; mais, quand même, le peu d’argent qui entre en circulation dans son ménage est de l’argent volé. La fille de Brignol est dressée à éconduire les créanciers paternels, ou encore à entrer au milieu d’une discussion violente pour l’interrompre et détourner sur sa grâce et son job ! visage l’attention du visiteur interdit. Et elle s’applaudit, la pauvre petite, de la perfection et de la sûreté avec laquelle elle exécute cette manœuvre. Ajoutez, pour avoir le personnel au complet, un joueur, le commandant, qui se sent sur la pente où l’on glisse à toutes les hontes, et ne fait pas pour s’y retenir le geste qu’il sait d’avance inutile : « Certes, je ne me crois pas encore capable de commettre la moindre indélicatesse ; mais, on me dirait que j’arriverais à en commettre plus tard… Tout est possible quand on joue, tout est possible. » Enfin, le neveu du commandant, un bon niais, qui prendra femme dans la lignée de Brignol, ce qui prouve qu’il est, comme disait Barrière, un jocrisse de l’amour, mais en outre un jocrisse pas très scrupuleux. Tel est ce milieu où l’immoralité fleurit comme sur un terrain d’élection.
Présentés par tout autre que M. Capus, il est vraisemblable que ces personnages nous eussent paru odieux ; M. Capus ne commet pas la faute de les rendre sympathiques, mais il leur conserve ou il leur prête certains traits qui leur valent les circonstances atténuantes et qui nous rendent du moins leur vue supportable. Peut-être, quoique nous ayons un peu de peine à l’admettre, Brignol est-il sa première dupe à lui-même et se prend-il à ses propres mensonges, au mirage d’affaires superbes autant que problématiques et qui le rendront riche demain. En outre, il n’a pas mauvais cœur : il aime sa fille, et même sa femme, à sa façon, qui n’est pas la plus recommandable, mais enfin qui est une façon de tendresse. Et tous ceux qui entourent Brignol étant des victimes de Brignol, il est clair qu’ils ont droit à un peu de cette indulgence qui va d’elle-même aux victimes. Dans la vie réelle et à la manière dont l’affaire est engagée,