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maladie, perdi, toute sa vie durant, grant partie de sa bonne mémoire. » Il arrive au souverain de donner le même poste en même temps à plusieurs personnes, ce qui cause beaucoup d’ennuis au chancelier.

La sensibilité du Roi paraît, elle aussi, altérée. Charles VI fait preuve, à plusieurs reprises, d’une indifférence anormale en apprenant la mort de ses amis ou de ses proches. Il pardonne aux assassins du duc d’Orléans avec une facilité surprenante : « Pardonna doucement et bénignement, dit Juvénal, et faisoit tout ce qu’on vouloit. » Au moment où ses armées viennent d’éprouver des désastres, au moment où la France est envahie par les Anglais, le Roi organise des fêtes et des tournois. « La vénérable Université de Paris résolut de faire des remontrances au Roi à ce sujet. Un savant docteur en théologie prononça même un discours plein de raisons solides et d’exemples. » Le Roi resta insensible aux argumens les plus pathétiques.

Les troubles de sa volonté le livraient sans défense aux suggestions de son entourage. Monstrelet raconte qu’« il était content de traicter en tous états selon l’opinion de ceux qui étaient assistans en sa présence, tant en son préjudice comme autrement. » « Il est entouré, dit le Religieux, d’une foule de gens avides de ses trésors, qui ne peuvent supporter aucun refus et qui, à force d’importunités, le dépouillent de tout, vêtemens, joyaux, vases d’or et d’argent ; et le peu qui lui reste est sans cesse mis en gage pour subvenir à ses besoins. »

C’est ce que le Songe véritable a exprimé avec une verve malicieuse :


Brief il n’a rien que il demande
N’en ne fait rien que il commande.
Quand on veut on le tient en mue
Et quand on veut on le remue.
Il fait tout, et si ne fait rien.


Mais, à côté de ces textes, qui semblent indiquer dans l’intervalle même des accès une grave altération de l’état psychique, les contemporains nous ont laissé d’autres documens, qui semblent contredire les précédens et attester au contraire la restauration presque complète de l’intégrité mentale pendant les périodes que la plupart des auteurs dénomment « périodes de guérison » ou « de santé. »