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titre d’un de ses recueils symbolise, ce me semble, avec beaucoup de justesse, l’inspiration générale qui a dicté les vers de M. Bourget. Relisons aussi la dernière pièce des Aveux, qui est éloquente et qui est belle, et où la sincérité d’accent me paraît indéniable ; elle est intitulée : Confiteor.

Le fantôme est venu de la trentième année.
Ses doigts vont s’entr’ouvrir pour nie prendre la main,
La fleur de ma jeunesse est à demi fanée,
Et l’ombre du tombeau grandit sur mon chemin.

Le Fantôme me dit avec ses lèvres blanches :
« Qu’as-tu fait de tes jours passés, homme mortel ?
« Ils ne reviendront plus t’offrir leurs vertes branches.
« Qu’as-tu cueilli sur eux dans la fraîcheur du ciel ? »

— « Fantôme, j’ai vécu comme vivent les hommes ;
« J’ai fait un peu de bien, j’ai fait beaucoup de mal.
« Il est dur aux songeurs, le siècle dont nous sommes,
« Pourtant, j’ai préservé mon intime Idéal !… »

Le Fantôme me dit : « Où donc est ton ouvrage ? »
Et je lui montre alors mon rêve intérieur,
Trésor que j’ai sauvé, de plus d’un noir naufrage,
— Et ces vers de jeune homme où j’ai mis tout mon cœur.

Oui ! tout entier : espoirs heureux, légers caprices ;
Coupables passions, spleenétique rancœur,
J’ai tout dit à ces vers, tendres et sûrs complices.
Qu’ils témoignent pour moi, Fantôme, et pour ce cœur !

Que leur sincérité, Juge d’en haut, te touche,
Et, comme aux temps lointains des rêves nimbés d’or,
Pardonne, en écoutant s’échapper de leur bouche
Ce cri d’un cœur resté chrétien : Confiteor[1] !

Le poète ne dit pas tout : ces dix années de rêveries et d’efforts poétiques ont été plus fécondes qu’il ne pense. D’abord, il a pris place, non loin de Sainte-Beuve et de Baudelaire, parmi les poetæ minores de notre âge. Et puis, comme tous ceux qui ont écrit beaucoup de vers, — tous, sauf Sully Prudhomme, — il a appris à bien écrire en prose ; il a assoupli son instrument, il s’est rendu maître de tous ses moyens d’expression ; à ciseler

  1. Poésies (1876-1882). Épilogue. Le texte de l’édition originale est un peu différent :

    Que leur sincérité, Juge cruel, te touche…

    Ce cri du grand pardon chrétien : Confiteor.

    (Les Aveux. Lemerre, 1882, in-16 ; p. 208).