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infâmes, qui comprenaient près de 900 000 membres en 1871 ; Dans toutes les castes prévalait le régime patriarcal : le gouvernement ne connaissait que des maisons, dont le chef, responsable envers l’Etat de la conduite des siens, exerçait sur eux une autorité presque absolue ; le chef commettait-il un crime grave, sa femme et ses enfans étaient exécutés avec lui ; seul le chef de maison pouvait obtenir une charge, que ce fût celle de ministre ou celle de maire de village, seul exercer une profession ou posséder un bien ; de fait toutes les charges, toutes les professions étaient héréditaires : dans toutes les castes, même les castes infâmes, le droit de primogéniture était absolu. En droit, la propriété foncière, confondue avec la souveraineté, appartenait aux princes souverains, c’est-à-dire à leurs dans ; de fait, les samuraï avaient la quasi-propriété ou l’usufruit d’une terre particulière ou droit à une pension prise sur l’ensemble des revenus du clan. Les samuraïs possédaient donc la terre soit collectivement, soit individuellement, mais ils ne pouvaient pas la cultiver ; au contraire, les paysans, qui cultivaient la terre, ne pouvaient pas la posséder, mais ils avaient un droit héréditaire à leur tenure ; en retour, par une tradition héritée du servage, qui avait disparu au XVIe siècle, cette tenure, ils ne devaient pas l’abandonner. Les maisons de paysans formaient des communautés villageoises régies par des maires héréditaires et des assemblées. Les maisons d’artisans et de commerçans formaient des corporations ; aucune maison, aucun membre d’une maison ne pouvait abandonner son métier et sa corporation, et nul ne pouvait exercer une profession qui n’était pas sa profession héréditaire s’il ne se faisait adopter, avec le consentement de son père, dans une maison qui l’exerçait. Mille défenses gênaient la vie économique : chaque clan avait ses douanes, l’exportation du riz d’un clan dans un autre était interdite, le paysan ne devait pas changer le genre de culture de son champ.

Une pareille organisation politique, économique et sociale ne pouvait subsister dans un pays qui, au cours de trois siècles de paix, s’était développé, enrichi, instruit et cultivé de toutes manières. Trois raisons en précipitèrent la chute.

L’archipel ne suffisait pas à nourrir sa population qui, dès la première moitié du XVIIIe siècle, atteignait le chiffre de 30 millions. De 1690 à 1840, on ne compta pas moins de vingt et une grandes famines, dont quelques-unes causèrent plusieurs