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Dongé : la chasse aux « renards » qui est passée dans les habitudes des ouvriers n’a pas eu de plus triste épisode. Le jury, tribunal impressionnable, en a été vivement, violemment ému, et il a prononcé contre Durand un verdict dénué de toute circonstance atténuante. C’était excessif, et les conséquences en ont été regrettables. Les radicaux-socialistes, les socialistes, les révolutionnaires ont aussitôt présenté Durand comme victime d’une erreur judiciaire et ils ont réclamé pour lui d’abord la grâce, puis la révision de son procès et sa réhabilitation complète. L’opinion la plus modérée ; la plus conservatrice même, n’a fait aucune objection contre la grâce, c’est-à-dire contre une commutation de peine, ni même contre la révision du procès, si quelque fait nouveau permettait de mettre sérieusement en doute la culpabilité du condamné. Mais, en toutes choses, il y a une mesure qui ne doit pas être dépassée, et elle l’a été ici singulièrement. Elle l’a été par la commutation accordée à Durand : il avait été condamné à mort, sa peine a été réduite à quelques années de réclusion. Ses défenseurs en ont conclu que le gouvernement le croyait innocent et les apparences leur donnaient raison ; ils ont naturellement tiré grand parti de cet avantage ; ils en ont aussitôt poursuivi d’autres. Il ne leur suffisait pas que la Cour de cassation eût été saisie d’une demande de révision de son procès ; sans attendre davantage, ils ont réclamé sa mise en liberté. Une question à ce sujet a été posée au gouvernement ; la réponse de M. le garde des Sceaux a été très correcte ; l’affaire, a-t-il dit, devait rester sur le terrain purement judiciaire ; l’intrusion du Parlement y serait inadmissible ; elle constituerait une confusion des pouvoirs. Jusque-là tout était bien, mais le gouvernement annonçait qu’il soumettrait la question à une commission de la chancellerie à laquelle ces sortes d’affaires sont soumises, et dès lors, il a été facile de prévoir ce qui arriverait, car le gouvernement n’est pas sans action sur une commission de ce genre. La Commission a été, en effet, d’avis que Durand devait être mis en liberté ; il y a été mis et les révolutionnaires se sont aussitôt emparés de lui pour lui faire présider des meetings.

On ne saurait trop hautement protester contre un pareil acte. Il n’y avait aucun motif de libérer Durand. Sa complète innocence, présumée par ses défenseurs, n’est nullement démontrée. Elle le sera peut-être un jour et, si elle l’est, nous nous en réjouirons pour lui, mais nous n’en sommes pas encore là, et c’est aller trop vite en besogne que de traiter Durand comme s’il était déjà réhabilité. Pour le moment, il n’est autre chose qu’un condamné à mort dont la