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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/372

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autrement dès les débuts de la Terreur. Sans doute, le fait d’avoir émigré ou d’avoir correspondu avec des émigrés, d’avoir conservé des emblèmes tenus pour séditieux, d’avoir blâmé les maîtres du jour, leurs actes et leur langage, d’avoir violé les lois de la République, d’avoir conspiré contre elle, constitueront des crimes que ses défenseurs ne sauraient pardonner. Mais il sera à leurs yeux un crime plus grand encore, et qui ne mérite pas un châtiment moins inexorable : c’est celui d’être riche. Lorsque les représentans partiront en mission, on les avertira qu’ils sont envoyés, « pour déblayer faire de la Liberté, pour ouvrir un large passage à la Révolution qui trouve encore partout les tronçons de la monarchie et les débris du fédéralisme. » Mais ces paroles n’exprimeront qu’incomplètement la tâche qui leur est confiée. A leur retour ou même au cours de leur mission, on les remerciera ; on rendra hommage à leur zèle, à leur savoir faire : « Votre présence, leur dira-t-on, a remonté les ressorts de la machine politique ; elle s’est ranimée : la République doit beaucoup à plusieurs de vous. » Ces louanges voudront dire qu’on leur sait gré d’avoir fait affluer l’argent au Trésor, et comme ils savent que c’est par là surtout que grandira leur réputation de civisme, ils ne reculeront devant aucune mesure arbitraire pour enrichir l’Etat au détriment des citoyens qui leur paraîtront bons à être déclarés suspects.

Afin de les terroriser, ils organiseront l’espionnage, ils réglementeront la violation du secret des lettres, ils ameuteront contre eux la populace : « Pauvres qui avez faim, rendez-vous dans la maison du riche, assiégez sa table et demandez-lui compte de son superflu. » C’est le représentant Le Carpentier, dont il sera question plus loin, envoyé dans la Manche et dans l’Ille-et-Vilaine, qui tient ce langage. Mais, il n’est pas seul à parler et à agir ainsi. Ce qu’il dit et ce qu’il fait, ses collègues le disent et le font.

C’est encore le même personnage qui procède vis-à-vis des suspects assez audacieux pour essayer de défendre leurs biens par ce qu’il appelle « les exhortations républicaines. » « Elles leur font si grand’peur, écrit-il, que vingt-quatre heures après., ils nous laissent tout. » Si ces malheureux, dans l’espoir de conjurer le sort qui les menace, offrent des dons patriotiques, on commence par les leur refuser afin de ne pas leur créer des titres à la bienveillance du pouvoir. Mais ce refus dédaigneux