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de la vertu parlementaire, de son pas allègre, avec son air crâne, le chapeau sur l’oreille et la canne haute, ainsi qu’il avait coutume d’aller par d’autres chemins. Cette pointe de paradoxe dont il a toujours eu la coquetterie de relever ses discours et ses actes, ce besoin d’emporter les applaudissemens de la galerie et ce goût d’étonner le bourgeois ; le rouge dont cet aristocrate démagogue souligne, avive et corrige la monotonie de l’habit noir sans trop regarder si c’est au talon qu’il le met ou ailleurs, et, pour tout dire d’un mot, ce qu’il s’est greffé de Parisien sur ce Français et ce qu’il reste de Montmartrois en ce Parisien ; ses habitudes, aussi, de polémiste, de journaliste qui sait qu’il faut chaque matin frapper un coup si l’on veut conquérir et garder l’esprit public ; un instinct de la scène à faire qui ne se trompe pas en le poussant secrètement vers le théâtre et en lui révélant à lui-même une espèce de génie comique et dramatique ; tout cela pouvait légitimement donner à croire que le ministère qu’il formait et la politique que ce ministère suivrait ne seraient pas un ministère et une politique ordinaires. M. Clemenceau, en effet, confia, d’entrée de jeu, le portefeuille de la Guerre au général Picquart. Pourquoi ? Pour bien des raisons, sans doute, dont quelques-unes tiennent au mérite du général Picquart, et quelques autres, peut-être, aux sentimens que leur confraternité d’armes dans une bataille récente avait fait naître en lui, mais dont la principale demeure que pas un autre président du Conseil ne se fût avisé de le faire, et qu’il fallait être M. Clemenceau pour y penser. Si hardi dans le choix des hommes, comment imaginer que M. Clemenceau, étant M. Clemenceau et en situation de l’être plus pleinement qu’il ne l’avait jamais été, hésiterait, reculerait et se déroberait devant la nouveauté des choses ? On lui fit tout d’abord crédit, parce qu’avec l’ardeur de son sang, il avait pris le départ dans la course, comme pour sauter l’obstacle. La déclaration qu’il lut aux Chambres portait en propres termes : « l’élargissement du suffrage. » Mais « l’élargissement, » c’était vague ; et, par exemple, on pouvait élargir le suffrage en conférant aux femmes le droit de vote ; de même on pouvait élargir, sinon le suffrage, au moins le mode de scrutin, en substituant le scrutin de liste au scrutin uninominal. Qu’est-ce au juste que le gouvernement entendait par là ? La plus grande chance de le savoir semblait être d’aller le demander à M. Clemenceau.