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Entre temps, dans la courte session de juin-juillet, la Chambre de 1906 avait nommé sa Commission du suffrage universel, composée, comme la précédente, de 22 membres, mais sur lesquels on comptait cette fois 16 ou 17 proportionnalistes. Je dis 16 ou 17, parce que le dix-septième, après s’être déclaré personnellement partisan du scrutin de liste pur et simple, avait été conduit à ajouter qu’il avait reçu de son bureau mandat de voter la représentation proportionnelle. Le président, les vice-présidens et les secrétaires de la Commission se transportèrent donc à la place Beauvau et, sans ambages, sans circonlocutions, posèrent la question au président du Conseil : qu’avait-il voulu dire par l’élargissement du suffrage ? Un autre eût répondu tout bonnement et n’en eût point fait plus d’affaires : « le vote des femmes, » ou « le scrutin de liste, » ou ceci, ou cela. Mais M. Clemenceau ne se contente pas de si peu. Il lui faut plus de chaleur et de couleur. A la différence du personnage de Molière qui,


… jusques au bonjour, vous dit tout à l’oreille,


lui, il vous dit tout à pleine voix, de sa voix tranchante et coupante, qui coupe et qui tranche jusqu’à : « Ni oui ni non, » jusqu’à : « Je ne sais pas ; » et il vous le dit en dardant sur vous des yeux sincères, la main sur le cœur, avec des sermens. « Je vous donne ma parole d’honneur, nous dit-il, que je veux le scrutin de liste, et que je le ferai (extrait des procès-verbaux de la Commission). — Et la représentation proportionnelle ? — Je ne sais pas, je ne connais pas, je verrai. » Ici s’arrête le dialogue officiel ; mais ce n’est pas trahir un grand secret que de le compléter par la phrase sur laquelle nous nous séparâmes : « Je ne sais pas, mais je ne demande qu’à savoir. Nous prendrons rendez-vous. Vous m’expliquerez votre affaire. »

Ainsi, le président du Conseil ne disait pas encore : « Je ne comprends pas, » mais seulement : « Je ne connais pas ; ce ne sont pas des choses de mon temps. On ne s’en occupait pas dans ma jeunesse. » En quoi M. Clemenceau se calomniait, oubliant que précisément, dans sa jeunesse, il avait traduit John Stuart Mill ; non pas, c’est vrai, le Gouvernement représentatif, où Mill expose et commente en un chapitre enthousiaste le système de Thomas Hare, mais tout de même il est difficile d’admettre