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régnait encore un épais brouillard percé çà et là par les cimes des arbres. Au-dessus, apparaissait la ville comme une pyramide resplendissante de lumière. Par intervalles, le vent traçait de longues trouées au milieu des vapeurs et donnait lieu à mille accidens de lumière… » Ou bien, ce coucher de soleil sur les monumens de Carnac : « Du haut des dolmens les plus approchés d’Erdeven, la vue de ces immenses allées offre un spectacle imposant et solennel. Lorsque je montai sur le toit d’un de ces dolmens, le soleil était sur son déclin, et le ciel et la mer à l’Ouest se coloraient d’une vive lumière empourprée. Sur ce fond éclatant, les peulvens de Kerzhero se détachaient vigoureusement en noir, tandis que, du côté de l’étang, le reste des avenues, fortement éclairées, montrait les pierres blanches et brillantes, tranchant sur un sol d’ajonc et d’herbes sombres… »

D’autres fois, il s’attarde à un petit tableau de mœurs, ou bien fait le portrait d’une ville : « En arrivant à Avignon, il me sembla que je venais de quitter la France. Sortant du bateau à vapeur, je n’avais pas été préparé par une transition graduée à la nouveauté du spectacle qui s’offrait à moi : langage, costumes, aspect du pays, tout paraît étrange à qui vient du centre de la France. Je me croyais au milieu d’une ville espagnole. Les murailles crénelées, les tours garnies de mâchicoulis, la campagne couverte d’oliviers, de roseaux, d’une végétation toute méridionale, me rappelaient Valence et sa magnifique « Huerta, » entourée, comme la plaine d’Avignon, d’un mur de montagnes aux profils déchiquetés, qui se dessinent nettement sur un ciel d’un azur foncé. Puis, en parcourant la ville, je retrouvais avec surprise une foule d’habitudes, d’usages espagnols. Ici, comme en Espagne, les boutiques sont fermées par un rideau, et les enseignes des marchands, peintes sur des toiles, flottent suspendues le long d’une corde comme des pavillons de navire. Les hommes du peuple, basanés, la veste jetée sur l’épaule en guise de manteau, travaillent à l’ombre, ou dorment couchés au milieu de la rue, insoucians des passans ; car chacun sur la voie publique se croit chez lui. La rue, pour les Espagnols, c’est le forum antique ; c’est là que chacun s’occupe de ses affaires, conclut ses marchés, ou cause avec ses amis. Les Provençaux, comme eux, semblent ne regarder leur maison que comme un lieu d’abri temporaire, où il est ridicule de demeurer lorsqu’il fait beau. Enfin, la physionomie prononcée et un peu dure des