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MÉRIMÉE.

Avignonnais, leur langage fortement accentué, où les voyelles dominent, et dont la prononciation ne ressemble en rien à la nôtre, complétaient mon illusion et me transportaient si loin de la France, que je me retournais avec surprise en entendant près de moi des soldats du Nord qui parlaient ma langue. » Des pays de la Méditerranée, Mérimée ne connaissait alors que l’Espagne, et, à la vérité, Avignon nous semble encore plus italien qu’espagnol ; mais comme cette page exprime bien la surprise et l’enchantement d’un Français du Nord débarquant dans la vieille cité des Papes !

Bref, l’inspecteur des monumens historiques ne se résout jamais à abdiquer son talent d’écrivain, même quand il correspond avec M. Guizot. Il s’y résout encore moins lorsqu’il correspond avec son « inconnue. » Conservons ce nom d’inconnue, à l’amie qui reçut de Mérimée tant de lettres charmantes, car de savoir que celle-ci se prénommait Jenny, qu’elle était la fille d’un notaire de Boulogne-sur-Mer, et qu’elle avait la bouche trop large, la lèvre supérieure serrée, la lèvre inférieure retombante, cela n’ajoute rien au plaisir que nous cause le joli morceau qui suit. C’est du plus parfait Mérimée avec une nuance de sentimentalisme qui fait penser à Henri Heine :

« Je visitais les arènes de Nîmes avec l’architecte du département, qui m’expliquait longuement les réparations qu’il avait fait faire, lorsque je vis, à dix pas de moi, un oiseau charmant, un peu plus gros qu’une mésange, le corps gris de lin, avec les ailes rouges, noires et blanches. Cet oiseau était perché sur une corniche et me regardait fixement. J’interrompis l’architecte pour lui demander le nom de cet oiseau. C’est un grand chasseur, et il me dit qu’il n’en avait jamais vu de semblable. Je m’approchai, et l’oiseau ne s’envola que lorsque j’étais assez près de lui pour le toucher. H alla se poser à quelques pas de là, me regardant toujours. Partout où j’allais, il semblait me suivre, car je l’ai retrouvé à tous les étages de l’amphithéâtre. Il n’avait pas de compagnon et son vol était sans bruit, comme celui d’un oiseau nocturne.

Le lendemain, je retournai aux arènes et je revis encore mon oiseau. J’avais apporté du pain que je lui jetai. Il le regarda, mais n’y toucha pas. Je lui jetai ensuite une grosse sauterelle, croyant à la forme de son bec qu’il mangeait des insectes, mais il ne parut pas en faire cas. Le plus savant orni-