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LA FILLE DU CIEL. 27 L’Impératrice, toujours calme et absente. — Je n’ai contre vous aucune haine. L’Empereur. — Les têtes de vos fidèles, qui tout à l’heure tombaient encore, là, près de nous, c’est contre ma volonté: j’avais donné l’ordre de grâce. Quant à celui qui sort d’ici (sou- riant), — car je vois tout, moi, lEmperear-fanlôine, comme vous m’appeliez, — oui, celui qui vous parlait à cette place même et qui, si héroïquement, se figure courir à la mort, il aura la vie sauve, et vous le re verrez ! L’Impératrice. — Je vous tenais déjà pour un ennemi généreux et grand... L’Empereur. — De mon amour, je n’ai même pas osé vous parler. L’Impératrice. — Je vous sais gré d’avoir maintenu plus haut que cela notre entretien. L’Empereur. — Chacune de vos paroles tombe sur moi, tranquille et glaciale comme les gouttelettes d’une lente pluie d’hiver... Et cependant j’aurai la force d’aller jusqu’au bout... Ecoutez bien ceci, c’est la fin, vous serez libre après: malgré cette guerre à outrance que nous nous sommes faite, malgré ce cortège de deuil, qui défile là-bas, emportant votre fils vers les forêts du Suprême Repos, je poursuivais encore ce rêve, d’éteindre les haines séculaires en m’unissant à vous, de fondre en une seule nos deux dynasties rivales, pour laisser le grand empire à jamais apaisé... L’Impératrice, interrompant. — Depuis que vous m’avez fait asseoir là, j’avais compris... L’Empereur, après un silence. — Et votre réponse ? L’Impératrice. — Ma réponse : ni vivante ni morte je ne permets que l’Empereur des Tartares frôle seulement ma main... Il est trop tard ; entre nous deux, il y a trop de sang qui coule en ruisseau... L’Empereur. — Encore un mot, un dernier... Nous ne sommes pas seuls, à cette heure solennelle de l’histoire, dans ce lieu qui nous paraît vide et plein de silence... Des Ombres de guerriers et d’Empereurs, des Mânes illustres s’assemblent de tous les points de l’air, descendent autour de nous et prêtent l’oreille, anxieux de la décision que vous allez prendre. Vos morts sont là tous, unis à présent aux miens, dans la concorde haute et céleste ; vous vous trompez, iJs ne vous appellent