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LA FILLE DU CIEL.

L’Impératrice. — Non!... Reste sur la terre, reste pour garder l’amour que je t’ai donné... Qui donc se souviendrait de moi et rendrait un culte à mes Mânes?... Dans la vallée d’éternel silence, par les avenues de marbre, sous l’ombre des cèdres obscurs, qui donc viendrait rêver aux grâces évanouies de ma forme d’un jour... Dis, tu resteras... Mais, viens plus près en- core... Si tu n’as pas peur du dernier souffle d’une mourante, approche aussi tes lèvres, mon époux, que jaie au moins connu ton baiser... L’Empereur, appuyant les lèvres èperdument sur les siennes, — Oh! même ta poussière me serait désirable, même la dé- composition de ton corps... Peur, tu demandes si j’aurai peur !... Le respect seul desserrera mon étreinte... quand je sentirai que tu ne vis plus... L’hiPÉRATRiCE, égarée^ se dégageant à demi. — Ah! oui... je l’entends, la grande cloche qui sonne... C’est le signal, alors?... Et je sombre... Retiens-moi, mon époux... Empêche que je sombre ainsi... que je m’abîme... dans le vide... (Pendant un instant de silence, ils restent enlacés. Et puis l’Empereur se rejette en arrière eu poussant un cri, et la morte s’afTaisse sur le dossier du trône.) SCÈNE X L’EMPEREUR, seul, puis LA FOULE. L’Empereur descend les marches en courant et frappe trois profonds coups d’appel sur le gong. Les portes s’ouvrent. Les dignitaires et les officiers paraissent aux seuils. L’Empereur, montrant la morte à la foule qui entre en habits de fête. — Venez tous, dignitaires, grands de l’Empire !... Des parfums dans les cassolettes, des fumées d’ambre!... Qu’on sonne le Carillon de Marbre, comme pour les Dieux!... Venez rendre hommage à votre impératrice!... A genoux! tous, devant la Fille du Ciel!... (Il se jette lui-même à genoux sur les marches. On sonne le Carillon de Marbre. La foule magnifique envahit la salle et se prosterne devant la morte.) RIDEAU. Judith Gautier et Pierre Loti.