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la loi d’assistance aura un jour besoin de l’être : conséquence excellente, car l’assistance n’est qu’un pis-aller. Verser nos futurs retraités dans une loi d’assistance élèverait, en outre, nos dépenses dans une proportion telle que nous ne saurions plus comment y faire face. La loi anglaise coûte annuellement plus de 300 millions. — Toutes ces raisons, les unes morales, les autres matérielles, condamnaient la proposition de M. Codet. M. Ribot en a ajouté d’autres tirées de l’obligation pour nous de faire de nouvelles réformes sociales dont il a tracé un tableau si vaste qu’évidemment nous ne saurions trop ménager nos ressources pour en réaliser au moins quelques-unes. La proposition de M. Codet a succombé vite sous le poids de tant d’argumens, mais M. Codet est entêté et il faut s’attendre à ce qu’il la reprenne un jour. En attendant, c’est un spectacle instructif que nous donnent quelques-uns des partisans hier les plus ardens de la loi, devenus aujourd’hui ses critiques et ses détracteurs les plus sévères. À peine ils l’ont qu’ils en veulent une autre.

L’interpellation de M. Brager de La Ville-Moisan a eu un objet plus sérieux, qui a été d’éclairer le vrai sens des articles 3 et 23 de la loi sur les retraites ouvrières. Y a-t-il une contradiction entre ces deux articles ? Cela arrive dans les lois que nous faisons, quelquefois par inadvertance, quelquefois aussi de propos délibéré et parce que le législateur, après avoir voté un article, en a jugé la portée trop large et l’a limité par un autre. M. le ministre du Travail a voulu voir entre les deux articles une contradiction seulement apparente : Comment croire, a-t-il dit, qu’une assemblée comme le Sénat ait pu tomber dans une contradiction réelle ? Est-ce supposable ? Est-ce possible ? Cette incrédulité de M. Paul-Boncour était flatteuse pour le Sénat, mais M. le ministre du Travail en a profité pour absorber l’article 23 dans l’article 3, c’est-à-dire pour le supprimer, et ses auteurs, qui savaient fort bien ce qu’ils avaient voulu faire, n’ont pas manqué de protester. M. Guillier, en particulier, a parlé en leur nom avec une verve et un bon sens qui ont fait sur l’assemblée une très vive impression. Après son discours, l’objet du litige a paru très clair : le voici d’ailleurs en peu de mots.

La loi est aujourd’hui connue de tout le monde ; personne n’ignore que les retraites futures sont alimentées par un triple versement, l’un de l’ouvrier, l’autre du patron, — ces deux versemens sont égaux : 9 francs pour les hommes, 6 pour les femmes, — et enfin d’un complément fourni par l’État. L’article 3 établit ce qu’on a appelé le précompte ; il fait du patron une sorte de percepteur de la