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cotisation de l’ouvrier, au moyen d’une retenue sur le salaire. Cette disposition est grave ; elle peut, si l’ouvrier refuse de se soumettre à la loi, mettre le patron en conflit avec lui ; elle peut fomenter d’un seul coup des centaines de grèves, et même des milliers. Le Sénat s’est préoccupé de ces conséquences possibles, et c’est alors qu’il a fait l’article 23 qui, à notre avis, est à peu près aussi lumineux que le soleil. Nous ne le reproduisons pas en entier, mais en voici le passage principal, celui sur lequel a roulé tout le débat : il se rapporte à l’obligation pour le patron d’apposer sur la carte que lui présente l’ouvrier des timbres qui témoignent des versemens mensuels faits par lui et par l’ouvrier lui-même. « L’employeur, dit-il, qui a été dans l’impossibilité d’apposer le timbre prescrit pourra se libérer de la somme à sa charge en la versant, à la fin de chaque mois, directement ou par la poste, au greffier de la justice de paix. » Que signifient ces mots : « L’employeur qui a été dans l’impossibilité d’apposer le timbre prescrit… » Ils visent évidemment le cas où l’ouvrier n’a pas voulu retirer sa carte à la mairie, à moins que, l’ayant retirée, il ne veuille pas la présenter à l’employeur. Celui-ci, alors, est libéré de toute obligation ; l’ouvrier ayant refusé de se soumettre à la loi, le patron et l’État ne lui doivent plus rien puisque le jeu normal de la loi nécessite un triple apport. Contrairement à l’adage latin : uno avulso, deficit alter. Mais si le patron, pour s’épargner toute difficulté future, ou simplement pour faire acte de générosité, veut se libérer quand même de la somme à sa charge, le pourra-t-il ? Oui, l’article 23 lui en indique le moyen : le patron n’est obligé à rien, mais il « peut » verser au greffe de la justice de paix. C’est ici qu’intervient M. le ministre du Travail, jurisconsulte, avocat de sa profession, orateur subtil, plein de talent d’ailleurs et dont la parole élégante et facile a intéressé le Sénat. Il soutient que les mots : « la somme à sa charge, » comprennent le double versement de l’employeur et de l’employé, puisque l’article 3 les lui a attribués l’un et l’autre. C’est là un abus des mots tout à fait inadmissible. L’article 3 n’a nullement mis le versement de l’ouvrier « à la charge » du patron ; il a chargé seulement celui-ci de le recueillir ou de le retenir sur le salaire, si l’ouvrier veut bien y consentir et le témoigne en lui présentant sa carte. L’article 3 a organisé une facilité de perception et non pas autre chose. Si on exige de lui davantage, le patron n’est plus un percepteur, mais un gendarme, et l’exercice de cette fonction déchaînera la guerre intestine entre l’ouvrier et lui. Le Sénat n’a pas voulu donner prétexte à cette guerre ; voilà pourquoi il a fait