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Lazare répondit : — Je ne me souviens pas.
… Un infrangible sceau
Est posé sur ma lèvre et me ferme la bouche.
Comme on fait d’un trésor caché dans un caveau,
J’explore en tâtonnant ma mémoire et ne touche
Que l’ombre insaisissable et que le vide noir…
Et Marie à son tour parla :
Frère, pardonne-nous d’avoir troublé ton cœur !
N’avons-nous pas appris ce qu’il en faut connaître
Depuis que la Lumière habite parmi nous
Et que nous entendons la parole du Maître ?…
… Le Christ est bon, le Christ est vrai, le Christ est beau
Et je n’ai pas besoin d’en savoir davantage !
Lazare, souriant, lui répondit : — Ma sœur,
Ta parole a versé du baume dans mon âme.
La part que tu choisis est pleine de douceur ;
Que ne puis-je savoir ce que tu crois, ô femme !


Ainsi rentre dans la pensée contemporaine cette certitude, qui fut si familière aux grands chrétiens des premiers temps et si dédaignée des savans positivistes du XIXe siècle : « On ne comprend que par l’amour. »

L’idée de Dieu, de l’Eternel créateur et jaloux que l’on entrevoit à travers les vieilles Bibles, est le plus souvent absente de cette poésie religieuse. La figure plus humaine, plus tendre de Jésus masque ici, de ses souffrances, de sa pitié, de ses indulgences d’amour, la première des personnes trinitaires. Elle s’impose si impérieusement à la méditation des poètes contemporains qu’un positiviste avéré tel que M. Edmond Haraucourt ouvre, malgré lui, sa voile au vent qui souffle. Il écrit une Passion, il aperçoit le Paradis à travers les blessures de la Crucifixion :


… Auréolé de lumière, Il monta.
Et comme II s’enlevait en leur montrant les routes,
Ses paumes qui saignaient firent de quatre gouttes
Le signe de la croix sur les quatre chemins.


La redécouverte de cette figure, un temps voilée, du Christ, éclaire toute la poésie contemporaine. Elle a inspiré à M. Jean Aicard une des pages les plus hautes de son œuvre. Le poète refait avec les pêcheurs du lac de Tibériade la route d’Emmaüs : devant lui, il aperçoit une ombre qui s’approche, s’évanouit, reparaît, suscite les courages des pèlerins nocturnes ou les laisse défaillans, selon que l’apparition se précise ou qu’elle s’efface.